Le site maya de Chichén Itzá, au Yucatán, n’a pas livré tous ses mystères. Des prospections récentes ont fourni de précieuses informations sur les rites liés aux divinités de la fertilité en relation avec le septénaire. L’analyse d’un sanctuaire souterrain pourrait apporter ainsi un nouvel éclairage sur l’élaboration des systèmes culturels et idéologiques archaïques, et ouvrir des perspectives nouvelles à la question de savoir pourquoi, à tout âge et dans des régions très éloignées les unes des autres, différentes cultures ont attribué au chiffre 7 une place privilégiée dans leurs relations –réelles ou symboliques– avec le monde.
Photo : Unsplash/Filip Gielda
Le 19 février dernier, Guillermo de Anda, directeur du GAM (Gran Acuífero Maya, de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire INAH), avait annoncé la découverte d’un «trésor scientifique» enfoui dans une grotte-sanctuaire située dans le dernier bastion de la culture maya. Depuis plus de mille ans, les habitants de Chichén Itzá pratiquaient dans ce lieu consacré leurs prescriptions liturgiques. Une importante quantité d’objets ont été retrouvés, lesquels «contiennent des informations inestimables sur la formation et la chute de l’antique cité et sur les fondateurs de ce site iconique», selon le directeur du GAM. Parmi ces objets figurent plusieurs brûleurs d’encens représentant Tlaloc, le dieu de la pluie et l’une des plus anciennes divinités du panthéon précolombien.
Différents éléments se combinent dans cette découverte. Elle met en lumière la puissance du symbolique dans le rapport entre la vie quotidienne et les forces qui gouvernent la nature. La notion de fertilité, le nom de la grotte lié au plus grand félin américain, la présence du serpent «gardien de la grotte» et surtout sa configuration septénaire se révèlent particulièrement intéressants à analyser. En effet, déroutant au premier regard, l’arrangement de la grotte avec ses sept offrandes –ou «sept chambres-sanctuaires»– laisse néanmoins transparaître le même souci qui caractérise l’architecture sacrée à travers le monde.
Ceci est encore plus remarquable quand on sait que la symbolique du septénaire est souvent liée au concept de «Fertilité» et par extension à celui de «Prospérité». C’est là un fait qui mérite d’être remarqué. Car dans la région où se situe la grotte Balamku, le système de précipitations se serait modifié à partir du IXe siècle après J.-C., provocant une dramatique réduction de la production agricole. L’activité maya s’estompe à cette époque-là, avec la modification du régime de pluies, marquant l’effondrement de la civilisation.
Cette hypothèse, acceptée par la plupart des spécialistes, suggère implicitement que le changement climatique fut d’une telle ampleur qu’il pourrait justifier les offrandes retrouvées dans la grotte, comme l’indique un communiqué de l’INAH : cette «sécheresse inhabituelle» aurait «obligé les habitants à implorer la pluie en allant dans les entrailles de la terre, dans l’inframonde où règnent les divinités de la fertilité».
Or la configuration septénaire de la grotte peut poser maintes questions. Cette particularité numérique résulte-t-elle d’une heureuse coïncidence, ou bien s’agit-il d’un choix délibéré ? Pour y répondre, la symbolique des nombres se conjugue ici avec la mythologie. En effet, le chiffre 7 se retrouve au cœur même de la culture agraire sous la lumière de la symbolique du renouveau et de tout ce qui se rattache à la notion de fertilité. C’est ainsi que, dans le panthéon maya, l’archétype de l’homme Parfait est Hunahpu, connu aussi sous le nom de «Dieu-Sept» : il est représenté entouré de ses six avatars, constituant le groupe des sept dieux agraires.
Ces sept divinités associées à la nourriture pourraient expliquer l’existence des sept chambres-sanctuaires de la grotte Balamku. Plus intéressant encore, Balamku signifie en langue maya «Temple du Jaguar». Dans l’imaginaire maya, la relation du jaguar avec le septénaire est révélatrice à plus d’un titre. Ce grand carnassier joue un rôle essentiel dans la mythologie d’’Amérique centrale et du Sud. L’iconographie permet de l’associer à l’autorité, comme en témoignent les trônes en forme de jaguar ou recouverts de sa peau. Plusieurs rois portent le nom «jaguar» comme patronyme (Bouclier-Jaguar, Oiseau-Jaguar, Serpent-Jaguar, Lune-Jaguar…).
En tant que prédateur nocturne, le redoutable félin était considéré comme le médiateur entre les humains et les forces occultes. Il évoque le royaume de l’obscurité et de la terre, l’inframonde, à cause de sa façon très particulière de se glisser dans la jungle sans être jamais vu, comme l’ombre d’un esprit qui attend patiemment le moment de sauter sur sa victime. Sur le plan mythologique, le jaguar était le patron du septième jour de l’histoire de la création. Dans le temple qui domine le site de Tikal, grand centre cérémonial maya du Guatemala, on a retrouvé, sur le linteau d’une porte, l’image sculptée d’une divinité protectrice. Ornée d’une torsade passant au-dessus du nez, indiquant son caractère solaire, elle se transforme chaque nuit en jaguar de l’inframonde : sur sa joue figure le chiffre 7. D’après certains documents iconographiques, ce chiffre rappelle le dieu du monde souterrain et ses six avatars.
Depuis la plus haute Antiquité, le chiffre 7 fut considéré comme un élément capable d’harmoniser les activités humaines en relation directe à une réalité supérieure. La présence de sept divinités dans le panthéon de l’aire méso-américaine en est le témoin. Une escouade septénaire se retrouve notamment représentée sur le «Vase des Sept divinités» datant de la période classique (VIIIe siècle) : le dieu «chef» de l’au-delà est assis sur un trône en forme de jaguar et tapissé de sa peau et, à ses pieds, ses six acolytes dieux de l’inframonde mettent leur main gauche sur l’épaule droite en signe de soumission. Cette iconographie indique que la résidence du dieu était située sous terre ou dans une grotte, et qu’il était non seulement le dieu souverain de l’au-delà, mais aussi le propriétaire de toutes ses richesses. On peut voir là le signe de prospérité évoqué plus haut.
Sur l’origine mythique des Mayas
Selon la version la plus répandue, leurs premiers ancêtres traversèrent une période trouble d’incertitudes et des épreuves qu’ils devaient surmonter jusqu’à trouver le chemin de la délivrance menant aux «Sept cavernes». C’est là, dans cette topographie cohérente avec la mystique du septénaire, qu’ils donnèrent naissance aux descendantes des Mayas Quiché.
Dans le langage symbolique, une des applications du chiffre 7 est celle qui marque la fin d’un cycle. En général, il s’agit d’une période trouble d’incertitudes et de ténèbres, comme l’attestent les croyances, mythes et légendes élaborées dans des civilisations sur tous les continents. De ce fait, dans le récit des sept cavernes mythiques, «sept» détermina un changement de situation : en pénétrant dans l’obscurité de la caverne, tel un parcours initiatique ou un rite de passage, un chemin s’ouvre vers la Connaissance du monde, c’est-à-dire vers la Lumière. Un symbolisme analogue s’exprime par le biais du cycle solaire : le mois du «Soleil vert», particulièrement apprécié par les Mayas, était une période faste de plénitude et de confiance dans l’avenir car il marquait l’équinoxe du printemps ; c’était le septième mois de l’année.
L’idée selon laquelle les ancêtres mythiques sont sortis de sept cavernes apparaît un peu partout en Méso-amérique. Et le fait que ce nombre soit présent dès la genèse, permet de croire qu’on lui a attribué le statut de chiffre sacré. Selon la tradition, les ancêtres des Aztèques, qui étaient l’une des sept tribus chichimèques descendues du nord du Mexique, auraient surgi de la montagne Chicomoztoc, c’est-à-dire «Sept Cavernes» (chico : «sept»). Cette configuration aussi particulière semble être le lieu de la genèse commune aux peuples précolombiens. Une gravure de l’Historia tolteca-chichimeca du XVIe siècle témoigne dans ce sens. On peut voir la grotte primordiale aux sept cavités occupées par les tribus chichimèques qui fondèrent les principales villes du Mexique central.
Si à présent on sait que la tradition des sept grottes est profondément ancrée dans l’histoire précolombienne, c’est notamment grâce à une source de référence incontestée sur les premiers temps de la conquête : l’Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne, dont l’auteur, le Père Bernardino de Sahagún (1500-1590), fut chargé par l’Église d’enquêter auprès des indiens et de recueillir des témoignages sur leur origine :
«[…] Ce fut alors que leur dieu parla aux Mexicains qui partirent les derniers et leur dit qu’ils ne devaient point continuer à habiter ce vallon, mais poursuivre leur route pour découvrir plus de pays […] Chacune de ces tribus, du reste, célébra ses sacrifices dans les sept cavernes avant de partir. C’est pour cela que tous les peuples du Mexique se vantent d’avoir pris leur origine dans les dites cavernes d’où sont sortis leurs aïeux.»
Plus proche de nous, l’écrivain français et prix Nobel J. M. G. Le Clézio s’est intéressé, lui aussi, au sujet des sept cavernes. Il confirme, dans Le Rêve mexicain, que le thème de l’émergence souterraine «est répandu dans toute l’Amérique moyenne». Le site de Chichén Itzá, où se trouve la grotte du présent article, est une des plus anciennes fondations urbaines des Mayas (VIe siècle), et son nom était Uuc Yabnil, «Sept Eaux».
Cette appellation pourrait se rattacher à un culte qui apparaît fréquemment dans différentes régions du globe. Dans tous les cas, le chiffre sept est mis en relation avec le divin, sous différentes formes, constituant un groupe de sept individus, comme les sept dieux de l’inframonde mentionnés pus haut, ou sous l’apparence de statuettes votives féminines (fertilité). Ces dernières ont été retrouvées sur la même péninsule du Yucatán, à Dzibichaltún, l’un des principaux sites archéologiques dont les constructions datent de 700 après J.-C. : dans le temple dit des Sept Poupées, devant l’autel décoré de peintures et d’inscriptions, une cavité abritait sept statuettes votives auxquelles le temple doit son nom. Or, au regard de ces éléments –les Sept Poupées, les Sept Eaux, les Sept cavernes Chicomoztoc– on peut conclure que le rapport entre le septénaire et la notion de «Fertilité» reste bel et bien établi. Mais il y a plus fort encore.
Dans la même optique, l’image de la caverne primitive renvoie à l’idée de la gestation, voire la matrice, autrement dit «l’utérus». Un texte cité par Le Clézio fournit une précieuse information dans ce sens :
«L’origine des peuples chichimèques est un mythe d’émergence qui évoque, lui, aussi, sept sources, ou sept grottes. Le Traité de Jacinto de la Serna [Tratado de las idolatrias… in El Alma Encantada, Mexico, 1987] apporte une illustration chamanique de ce thème de la naissance des hommes : parmi les termes utilisés par les anciens nahualli (sorciers) aztèques pour désigner l’utérus féminin figure l’expression « les sept grottes « , ce qui rappelle la légende de Chicomostoc.»
Cette conception septénaire de la nature s’est perpétuée dans deux figures centrales de la mythologie méso-américaine, dans lesquelles se conjuguent les trois éléments principaux de cet exposé : le chiffre Sept, la fertilité et l’élément de base de l’alimentation.
Chicomexochitl et Chicomecoatl
Les divinités associées à la végétation, pour des raisons évidentes, jouent un rôle prépondérant dans l’imaginaire de toutes les cultures américaines. Au Mexique, la déesse de l’eau Chicomexochitl, «Sept fleurs», rejoint dans le même domaine la déesse de la fertilité et de la Terre Chicomecoatl, «Sept serpents» (le sens symbolique du serpent renvoie à la terre).
L’iconographie de Chicomecoatl, appelée aussi Chicomolotzin : «vénérée (tzin), déesse des sept (chicome), épis (olotl)», la représente adorée par son peuple, parfois la tête couronnée de sept épis de maïs. En général, elle est représentée avec sept serpents sortant de sa jupe. Les offrandes et la position des personnages montrent très clairement la dévotion du peuple envers cette déesse de l’agriculture.
Le culte d’une déesse de la fertilité associé au chiffre 7 semble être très ancien. On trouve par exemple, dans le codex Teozacoalco, la mention d’une princesse «Sept-Fleurs» à une époque qui correspond à l’année 692, soit presque un millénaire avant l’arrivée des Espagnols. Et un document archéologique atteste que la déesse Chicomecoatl avait déjà son homologue entre les IIIe et VIIIe siècles. Il s’agit d’une plaquette d’onyx où une déesse, dont la tête s’orne d’un cormier (gueule d’un serpent fantastique), porte sur la poitrine une inscription hiéroglyphique composée d’une barre et de points à la manière des Mayas et des Zapotèques : c’est le chiffre 7.
Comme on peut le constater, le culte de ces dieux était très important car la prospérité du peuple dépendait essentiellement des activités agraires. À titre d’exemple, Tlaloc, le dieu de la pluie et des moissons retrouvé dans la grotte Balamku. En tant que dieu de la fertilité, il est associé au chiffre sept sur une stèle votive où sept rayons jaillissent du glyphe «7 Pluie» ; sa tête porte une coiffe en forme de signe de l’année : il était le régent du 7e mois du calendrier Aztèque.
Ce qui est en haut est en bas
Au regard des thèmes exposés jusqu’ici, il apparaît que le chiffre 7 se révèle comme un élément important dans la pensée préhispanique, une sorte de pattern susceptible d’expliquer la configuration septénaire de la grotte Balamku, et d’apporter en même temps une plus juste compréhension des mœurs et des valeurs d’un monde qui aujourd’hui nous est complètement étranger, à la frontière même du réel et de l’invisible. D’autres sujets auraient pu être présentés pour étayer nos propos, mais une étude plus approfondie serait impossible dans le cadre de cet article.
Toutefois, pour conclure sur le thème de la fertilité, il est intéressant de mentionner que les Mayas étaient d’excellents astronomes et mathématiciens, et que la constellation des Pléiades et ses sept étoiles visibles à l’œil nu ont joué un rôle déterminant dans la maîtrise de l’agriculture. Par conséquent, la présence du septénaire ne relève en aucun cas du hasard, mais de la volonté de se conformer à la nature de la création, selon ses principes et méthodes. Sans oublier que le corps humain, lui aussi, a contribué à consolider l’association 7-Fertilité avec ses sept orifices naturels, plus facilement repérables dans le corps de la femme : deux narines, deux orifices de l’audition, la bouche, l’anus et le vagin. Et la concordance entre les 28 jours du cycle lunaire et le cycle biologique féminin a sans doute attiré l’attention sur le rapport numérique entre les choses. Ce rapport, qui s’articule autour du chiffre 7, aurait inspiré l’idée selon laquelle le renouvellement perpétuel du cycle cosmique est inhérent au cycle de la vie et à la fertilité : 28 est le produit de l’addition des sept premiers nombres entiers… 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 = 28. À méditer.
Eduardo UGOLINI