Les indiens Waorani d’Amazonie en Équateur ont remporté vendredi 26 avril une victoire judiciaire historique contre les entreprises pétrolières. Après deux semaines de délibérations, pour donner suite à leur plainte en justice, le tribunal pénal de Puyo, de la région amazonienne au centre de l’Équateur, a décidé d’accepter le recours des indigènes contre le projet du gouvernement. Celui d’ouvrir 1800 km2 de leur territoire à l’exploitation d’hydrocarbures.
Photo : CRE Satelitl
Cette décision est d’autant plus importante qu’elle pourrait constituer un précédent pour d’autres zones de gisements dans le pays sur des terres indigènes. La demande fut présentée par seize communautés. Les juges et la présidente du tribunal Pilar Araujo ont déterminé en première instance que cette exploitation représentait une atteinte au droit constitutionnel des peuples à l’autodétermination. Ces peuples devront être préalablement consultés de manière claire et précise chaque fois qu’un projet d’exploitation de ressources non renouvelables serait envisagé sur leur territoire. Le tribunal a enjoint en conséquence l’État de mener une nouvelle consultation publique conforme aux exigences de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dont le siège est à San José du Costa Rica.
Ce jugement va faire l’objet évident d’un appel des ministères concernés, ceux de l’Énergie et de l’Environnement, ainsi que du ministère public et de la Cour d’appel de la province de Pastaza. Pour l’heure, c’est une première étape qui a été franchie et gagnée.
La réaction du gouvernement
Le gouvernement affirme avoir réalisé en 2012 une consultation au cours du gouvernement de l’ancien président Rafael Correa. Les Waorani soutiennent quant à eux que celle-ci ne s’est pas faite dans les règles. Les fonctionnaires de l’État sont arrivés à ce moment-là par un petit avion avec des agapes et promesses alléchantes obtenant l’accord des populations grâce à des arguments trompeurs.
L’État «ne nous a pas consultés en bonne et due forme, il a fait une simple visite d’une demi-heure», a indiqué l’avocate Yajaira Curipallo, déléguée de la Defensoría del Pueblo en Pastaza, qui avait soutenu la demande des natifs. Elle a ajouté qu’en 2012 «les représentants du gouvernement sont venus chez nous pour nous proposer santé, éducation, des logements et d’autres bénéfices, mais nous ne savions pas qu’il s’agissait de nous convaincre d’accepter l’exploitation pétrolière sur nos terres. Notre territoire est sain, propre, non pollué. Nous, Pikenanis (les sages waorani), n’accepterons jamais la vente de nos terres à l’industrie pétrolière».
Les Waorani sont environ 5000 et possèdent 800 000 hectares environ de la jungle de Pastaza, Napo et Orellana, une petite partie du bassin amazonien équatorien. Ils vivent de la chasse, de la pêche et de la collecte des fruits. La loi reconnaît la souveraineté de leurs terres ancestrales, mais l’État maintient la propriété du sous-sol, comme c’est souvent le cas dans les pays ayant une population indigène. Les Waorani se considèrent comme les gardiens de la forêt amazonienne, qui couvre plusieurs provinces de l’Est de l’Équateur.
Un précédent
Tel que mentionné plus haut, l’État peut faire appel à cette décision de justice, mais cette résolution judiciaire historique risque de marquer un précédent et de faire jurisprudence. Lorsque les Waorani ont appris la nouvelle de leur victoire, ils sont sortis manifester leur joie dans les rues de Puyo célébrant ainsi une décision qui leur permettra de garder encore ce qu’ils considèrent comme le dernier morceau de territoire dans son état original. Au cours de leur marche, ils scandaient : «La jungle ne se vend pas, la jungle on la protège» ou «Oui à l’eau, non au pétrole».
Il faut savoir cependant que l’exploitation du pétrole est, depuis les années 1970 en particulier, l’un des piliers de l’économie équatorienne. Cette exploitation a laissé des traces de destruction de l’environnement sur des vastes superficies, sur des sources d’eau devenues contaminées, des montagnes de déchets ainsi que la disparition de la faune. Mais l’exploitation du sous-sol date depuis plus longtemps, comme cela est le cas dans la localité de Nemompare qui a adopté le nom de la multinationale pétrolière européenne implantée depuis près d’un siècle dans l’État de Pastaza, devenue ainsi un symbole de la pénétration des activités d’extraction en Amazonie.
Le jugement constitue«un précédent important pour l’Amazonie», a déclaré l’avocate des plaignants Lina Maria Espinosa, qui a estimé que d’autres peuples de la région pourraient suivre l’exemple des Waorani. Lances et flèches empoisonnées sont toujours à portée de main pour faire face à l’envahisseur. Mais cette fois, les indiens Waoranis d’Équateur comptent sur la justice. Pour l’heure, le combat se livre devant la justice, mais l’histoire des Waorani est traversée d’épisodes violents qui font craindre leur réaction. Des entreprises forestières, qui avaient recouru à l’usage d’armes pour exploiter une partie de leur territoire, ont été la cible des lances des Waorani. Dans ces territoires vivent également d’autres ethnies et leurs conflits se règlent aussi parfois dans la violence.
Un des Indiens plaignants, l’ancien Waorani Memo Yahuiga Ahua Api, devant la Cour provinciale de Pastaza, a dit : «Mes ancêtres défendaient la jungle avec des lances contre les envahisseurs, ils les tuaient. Moi, je suis venu me défendre avec des mots.»
Les Waorani ont remporté une première bataille, mais la suite de cette affaire risque d’être longue et périlleuse, car le pétrole représente pour l’Équateur le principal produit d’exportation et génère environ 30% des revenus de l’État. Les avocats du gouvernement ont déjà présenté leur demande en appel. Cette décision empêche au moins, pendant le processus judiciaire, l’exploitation de l’or noir.
Olga BARRY