Herman Braun-Vega, artiste peintre péruvien né à Lima en 1933, est décédé mardi dernier à Paris où il avait choisi de poursuivre son art. L’ensemble de son travail a fait de lui le maître du syncrétisme et du métissage artistique et culturel. Ses œuvres aux couleurs vives mêlent les thèmes abordés par les grands maîtres de l’histoire de l’art à une juxtaposition des styles et d’une technique jouant entre l’acrylique, les collages et le mouvement, qui lui était propre.
Photo : Herman Braun-Vega
Dans son essai Race et histoire, Claude Lévi-Strauss, pour critiquer la thèse raciste de Joseph Arthur de Gobineau, explique que «L’attitude la plus ancienne, […] quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions». La méthode du peintre Herman Braun-Vega s’inscrivait en réaction à cette position collective et habituelle. C’est pourquoi, dans son travail, il utilisait le syncrétisme pour décomposer la réalité et proposer une nouvelle vision mixte du monde.
Dans ses œuvres, l’artiste expliquait travailler sur la mémoire du spectateur à trois niveaux –individuel, social et historique– afin que les enfants, et aussi les adultes les moins préparés, puissent avoir accès au premier niveau. Les deuxième et troisième devaient être plus facilement accessibles aux spectateurs politiquement et/ou culturellement mieux formés.
Ainsi la mémoire «historique» dont il parle est représentée par tous les personnages et situations qui caractérisent l’histoire de la peinture que l’on retrouve dans ses tableaux peints à partir de 1973. La mémoire «sociale» est alors les faits décisifs de l’histoire du monde, et ceux de la vie du peintre lui-même représentent la mémoire «individuelle» ou «quotidienne».
La plupart des œuvres de Braun-Vega ont des fenêtres, comme dans Les Inattendus où l’ouverture du tableau est présentée comme une porte arrondie. Si le spectateur peut ainsi s’échapper du tableau –ce que la femme occidentale, représentée par la «grande baigneuse» d’Ingres, ne peut faire malgré son mouvement vers la droite–, il peut aussi entrer dans l’œuvre par cette ouverture qui sépare avant tout deux univers, deux mondes : le monde de l’extérieur, des apparences, de la société, et le monde de l’intérieur, de l’intimité, de l’individualité, du silence.
Herman Braun-Vega connaissait très bien la tradition artistique occidentale qu’il aimait confronter aux réalités caractéristiques de sa terre natale, l’Amérique latine, dans un processus de recréation. Cette méthode se reflète dans ses tableaux, bien que la propension à utiliser la représentation iconographique occidentale dans ses peintures ait tendance à disparaître dans les années 1990. Il a ainsi interrogé à travers l’ensemble de son œuvre plusieurs générations de peintres occidentaux et le langage de leur création, de Rembrandt à Vélasquez, en passant par Ingres et de La Tour, Manet et Monet, Cézanne et Picasso…
C’est de ce langage qu’il nourrissait sa propre peinture, avec beaucoup de liberté afin de produire sa vision unique et globale du monde. Ainsi dans Le Déjeuner sur l’Herbe d’Édouard Manet, il peint par exemple du Picasso accompagné de Vélasquez. Avec La Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, le discours du peintre prend une connotation politique inattendue.
En se réappropriant les tableaux de ces artistes connus, il introduisait de nouveaux personnages pour produire ce métissage à la fois artistique, historique et social. Cette question du métissage était une motivation importante du travail de Braun-Vega comme il l’explique : «Mon attention est attirée par les conséquences des rencontres qui se sont produites sur le continent américain à partir de 1492, de façon violente et dans des temps très courts. Cela a eu comme conséquences le syncrétisme et le métissage qui caractérisent notre identité américaine.»
«Dans ma peinture, il y a une sensualité froide, comme dans celles d’Ingres et de Poussin. C’est sensuel, mais comme c’est également intellectuel, cela crée une distanciation. Humour et ironie sont indispensables pour aborder les choses graves. Nous vivons à une époque très sollicitée par les images et, en particulier, les images de violence. Au cinéma, quand on se prend au jeu de l’artifice, ou bien chez soi devant les journaux télévisés, souvent à l’heure des repas, on se trouve exposé à la distanciation et à la froideur face aux événements dont on est témoins. En peinture, pour que le contenu puisse passer, il doit séduire, c’est-à-dire être attrayant dans sa construction picturale. C’est seulement ainsi que la violence du contenu peut se transmettre d’une manière efficace.»
Herman Braun-Vega avait l’habitude de créer des mondes opposés avec ses propres couleurs, ses propres formes et ses choix esthétiques, afin que ces mondes se rencontrent et que se produise une synthèse de deux ou plusieurs caractéristiques culturelles d’origine différente pour produire de nouvelles formes culturelles. Cette méthode a fait de lui le maître du syncrétisme et de l’interpicturalité.
Marlène LANDON