Une tension accrue samedi 23 février dernier : alors qu’un camion d’aide humanitaire s’apprêtait à franchir la frontière vénézuélienne, il a dû affronter l’opposition des forces de l’ordre qui tiraient sur la foule, soutenues par les colectivos (groupes armés de quartier). Bilan : deux morts et plus de 300 blessés de part et d’autre de la frontière avec la Colombie. Entre bolivarisme d’un côté, défense des «boliburgos» de l’autre et tentation de la demande d’intervention, le président intérimaire Juan Guaidó s’en remet à la communauté internationale.
Photo : El Universal
Le samedi 23 février dernier était un samedi de violences contre l’aide humanitaire nord-américaine. «On était heureux, on allait participer à la libération du Venezuela» raconte Josefa. Au niveau de la frontière brésilienne, ce sont douze morts, tous de la communauté Pemón, qui avaient parmi les premiers reconnu Juan Guaidó comme seul président légitime. La police vénézuélienne est parvenue à empêcher l’entrée sur le territoire de volontaires venus prendre en charge les colis de denrées alimentaires et le matériel médical, en particulier sur les ponts Simón Bolívar et Paula Santander. Ils ont été les lieux d’affrontements violents : camions humanitaires mis à feu, tirs, gaz lacrymogènes. En définitive, certains membres des forces de l’ordre se sont retrouvés immobilisés, comme terrifiés sous leurs boucliers anti-émeutes, entre les colectivos et les manifestants de part et d’autre du pont, à tel point que certains d’entre eux se sont rendus aux autorités colombiennes, désertant ainsi leurs fonctions.
Au total, ce sont dix camions humanitaires qui n’ont pas pu passer la frontière, malgré la harangue de la foule au cri de «Sí se puede», convaincue comme Luis, un fonctionnaire de Maracay, de «participer au grand changement» et prêt à «se sacrifier pour la libération» du pays. D’ailleurs, trois députés se sont même déplacés pour tenter d’entamer le dialogue avec les militaires, sans autre résultat que des blessures par balles en caoutchouc.
C’est donc un semblant de guérilla qui se constitue progressivement pour faire face aux blindés de la milice vénézuélienne. Un schéma que leurs voisins colombiens connaissent malheureusement bien ; c’est probablement la raison pour laquelle Juan Guaidó a demandé à la communauté internationale d’envisager «toutes les options» face au refus de Maduro d’accueillir l’aide humanitaire.
Face aux velléités d’ingérence étasuniennes, ce dernier a déclaré : «Que pense le peuple vénézuélien des menaces de Donald Trump ? Enlève tes pattes du Venezuela, Donald Trump. Yankee go home !… Il nous envoie de la nourriture pourrie, merci !»
La diplomatie internationale : de la condamnation de la violence à la menace d’ingérence
Alors que lundi dernier le vice-président des États-Unis, Mike Pence, annonçait des «mesures concrètes»et des «actes clairs» pour répondre à la crise vénézuélienne, et que Donald Trump ne semble toujours pas exclure une intervention militaire, Jorge Rodríguez –le ministre vénézuélien de l’Information– a raillé les défaillances de l’opposition en traitant Juan Guaidó de «marionnette» et de «préservatif usagé». Une bien maigre défense.
Plus timide que les États-Unis, l’Union européenne «demand[e] instamment aux forces de l’ordre et aux organes de sécurité de faire preuve de retenue, d’éviter le recours à la force et de permettre l’entrée de l’aide», a déclaré Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne. Préférant l’aide financière à l’aide militaire, l’UE se dit prête à accroître les fonds destinés au soutien humanitaire et au développement, mais sans mesure concrète jusqu’à présent. Quant à Emmanuel Macron, il appuie «la restauration de la démocratie» dans un tweet daté du dimanche 24 février.
Les dirigeants européens peinent à se positionner et demeurent dans une zone de flou diplomatique, n’ayant ni proclamé illégitime le président élu, Nicolás Maduro –tenant sûrement à la démocratie comme remède politique incontestable–, ni non plus déclaré Juan Guaidó putschiste. Un avis encore partagé par le Canada, la Colombie, le Paraguay, le Brésil, le Mexique et Cuba.
À la différence, Moscou s’insurge contre l’interférence étrangère, craignant un «bain de sang», tout comme la Chine qui dénonce les interventions au Venezuela. Rappelons au passage qu’elle est le premier créancier de Caracas.
En février 2018, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, avait ouvert un «examen préliminaire» sur la situation au Venezuela pour évaluer les crimes présumés qui pouvaient être du ressort de la CPI. Des belles paroles à l’ingérence, la carte géopolitique reste la même. Pendant que la crise au Venezuela continue d’éclater.
Le Groupe de Lima : une réponse pacifiste ?
Alors que Maduro avait commencé à fermer toutes les frontières du pays, Juan Guaidó se bat contre l’isolationnisme du président au pouvoir en appelant la communauté internationale à faire barrage contre la politique de Maduro.
Si les centaines de Vénézuéliens qui s’étaient rassemblés samedi, rose blanche à la main, ont échoué à faire plier Maduro, le Groupe de Lima entend bien remédier à la réélection jugée frauduleuse du président au pouvoir. Créée en 2017 pour faire face à la crise du Venezuela, l’alliance n’a pas reconnu la réélection de Maduro et onze de ses membres l’avaient exhorté le 4 février dernier à reconnaître Juan Guaidó.
La réunion des quatorze pays latino-américains et du Canada s’est tenue lundi 25 février à Bogotá et avait pour but de décider de quelle manière accentuer la pression sur le Venezuela, que ce soit par un ultimatum, des sanctions, une intervention, ou le «renforce[ment] de l’encerclement diplomatique», selon le président colombien Iván Duque.
Finalement, les États qui composent cette alliance ont réitéré «leur conviction que la transition vers la démocratie doit être menée par les Vénézuéliens eux-mêmes pacifiquement, dans le cadre de la Constitution et du droit international, et soutenue par des moyens politiques et diplomatiques, sans usage de la force». Mais avec l’appui des 365 000 membres de l’état-major des forces de sécurité et le million et demi de miliciens civils, Maduro jouit encore d’un soutien solide.
Lou BOUHAMIDI