Le cinéma est au centre des romans d’Antônio Xerxenesky qui avait évoqué western et morts vivants dans le délirant Avaler du sable et la figure mythique d’Orson Welles dans F. Cette fois, il approche les films d’horreur, mais en évitant adroitement tous les pièges d’une telle entreprise, que ce soit en images, par les quantités d’hémoglobine dans un film ou par des descriptions crapoteuses dans un roman : on ne sera pas déçu, mais pas de la façon dont on s’y attendait.
Photo : Renato Parada-Divulgação/éd. Asphalte
Alina est en pleine crise existentielle. Elle vit à São Paulo. Elle a une petite trentaine, s’ennuie considérablement entre ses soucis financiers, sa thèse universitaire inachevée et la routine de son travail qui ne présente pas le moindre intérêt. Elle est convoquée un jour au commissariat où Carla, la commissaire, une femme de son âge, lui demande de l’aider dans une enquête sur un mystérieux groupe qui semble flirter avec l’occultisme. Il y aurait eu plusieurs disparitions inexpliquées.
À quoi cela sert-il de mener une vie banale, en n’ayant que des activités routinières, en ne faisant rien de ce qu’on aime, en n’ayant personne à aimer ? Même un terrible choc émotionnel, un an plus tôt, qui aurait pu la pousser par réaction vers une existence plus positive, s’est avéré impuissant à la faire évoluer.
Alina vit plongée, enterrée dans une vie des plus prosaïques : vaisselle sale dans l’évier et frigo vide, ses rapports ‒ intellectuels ‒ avec l’occultisme et ses mystères lui semblent s’être éloignés d’elle : le mémoire, puis la thèse doivent plus au hasard qu’à une passion, et pourtant renouer avec l’inexplicable, par l’intermédiaire de la commissaire, se met à l’attirer.
La première partie, qui se passe dans la journée, baigne dans la banalité. Dans la deuxième (de nuit), avec un changement virtuose et surprenant de point de vue, tout bascule. La nuit tout devient possible, mais si tout peut arriver, que se passera-t-il vraiment ?
Antônio Xerxenesky se montre diaboliquement habile dans sa façon d’avancer, d’un pas bien ordinaire, sur des chemins qui pourraient se révéler troublants, inquiétants, paniquants ou désespérément communs. On souhaite avoir évidemment notre dose d’horreur et on l’aura, mais pas de la façon dont on s’y attendait : où se terre l’horreur, dans le surnaturel ou à portée de notre main ?
À l’opposé du grand spectacle, Antônio Xerxenesky a parfaitement réussi là le récit de la journée d’une jeune Brésilienne, qui aurait pu être aussi banale que toutes les autres et qui, depuis son enfance, sans le savoir, vit entre ombre et lumière, entre chiens et loups (garous ?) et qui se pose, comme son créateur en littérature, bien des questions fondamentales. Malgré tout la nuit tombe marie vie quotidienne et brefs flashs étranges, philosophie et mystère. Et c’est le mystère qui survit !
Christian ROINAT
Malgré tout la nuit tombe d’Antônio Xexenesky, traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro, éd. Asphalte, 224 p., 20 €. Antônio Xerxenesky en portugais : As perguntas, ed. Companhia das Letras, São Paulo / Areia nos dentes / F, ed. Rocco, Rio de Janeiro. Antônio Xerxenesky en français : Avaler du sable / F, éd. Asphalte.
Antônio Xerxenesky est né à Porto Alegre. Son premier roman Avaler du sable (Asphalte, 2015) lui a valu d’être distingué comme l’un des meilleurs romanciers brésiliens contemporains par la revue Granta. Son deuxième roman F a été finaliste du prix São Paulo de littérature et du prix Médicis étranger 2016.