Cristina Kirchner entre l’enclume de la corruption et le marteau de la justice argentine

L’ex-présidente (2007-2015) de l’Argentine sera bien jugée pour un système de corruption institutionnalisé qui fonctionnait depuis la présidence de son époux feu Nestor Kirchner (2003-2007). Los cuadernos de las coimas («les cahiers des pots-de-vin») ont livré des informations compromettant des dizaines d’ex-fonctionnaires et chefs d’entreprises.

Photo : BBC

Le président de la Chambre de la construction de l’époque l’a reconnu : toutes les entreprises bénéficiaires de commandes publiques étaient tenues de reverser 20% du montant du contrat aux Kirchner. Carlos Wagner a évoqué devant la justice argentine «un système de cartellisation» mis en place par l’ex-président Nestor Kirchner (2003-2007 – décédé en 2010), puis repris par son épouse Cristina (2007-2015).

Devant le procureur Stornelle, Carlos Wagner a également précisé que tout était contrôlé par Julio de Vido, l’ex-ministre de la Planification arrêté en novembre 2017 dans le cadre d’autres affaires. De son côté, Leandro Despouy, ex-président de la Cour des comptes a déclaré à l’agence France-Presse : «Le système de corruption Kirchner a déjà été mis en évidence, cette affaire vient confirmer la matrice de la corruption. Et que les hautes sphères du pouvoir avaient établi des mécanismes, un engrenage pour une corruption gigantesque.» Un autre témoignage, révélé par un avocat d’affaires à l’AFP, donne plus de détails : «Du temps de Kirchner, si tu voulais faire du business avec l’État, tu n’avais pas le choix, il fallait verser 15%, puis c’est passé à 30%, de pots-de-vin.»

Ces révélations sont le fruit d’une enquête initiée l’année dernière par le journal La Nación. Elle a abouti à l’arrestation d’une douzaine d’anciens fonctionnaires et d’hommes d’affaires, parmi lesquels Roberto Baratta. Selon le journal, «les cahiers des pots-de-vin» ont livré à la justice «un matériel inestimable pour pénétrer les profondeurs d’un système de corruption qui s’est répandu avec la force destructrice des métastases». Les écrits recensent les pots-de-vin «acheminés directement au domicile de Cristina Kirchner ou aux ministères».

Les cahiers d’écoliers appartenaient au chauffeur de Roberto Baratta, le bras droit de l’ex-ministre de la Planification Julio de Vido. Ce chauffeur, nommé Oscar Centeno, a noté avec luxe de détails les livraisons d’argent réalisées pendant dix ans à «une trentaine de domiciles». «Quand, combien, où se passait le retrait, qui payait et à qui l’argent dans les sacs était destiné, sachant que ces sacs finissaient parfois au domicile particulier du couple Kirchner ou au palais présidentiel.» Selon les estimations, au moins 160 millions de dollars de dessous-de-table ont été détournés entre 2005 et 2015.

Les soupçons des juges, qui cherchent à prouver le rôle joué par Nestor Kirchner et sa veuve en tant que chefs d’une «association de malfaiteurs», se trouvent confortés par les nombreux témoignages qui accusent directement l’ancien pouvoir. Le scandale éclabousse pratiquement tout le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), dont des dizaines de dirigeants de grandes entreprises du secteur qui ont déjà été inculpés. La plupart ont échappé à la prison en échange d’une collaboration avec la justice argentine. C’est le cas de Paolo Rocca, le PDG de la multinationale Techint, la première société privée du pays, mais l’affaire concerne même l’entourage de l’actuel président argentin Mauricio Macri : Franco et Gianfranco Macri, le père et le frère du président, ont été convoqués à cause de l’entreprise Socma, société du groupe Macri, soupçonnée par la justice d’avoir versée des pots-de-vin au gouvernement de l’ex-président Nestor Kirchner (2003-2007) pour obtenir la concession de deux autoroutes.

Angelo Calcaterra, cousin de Mauricio Macri, propriétaire de l’entreprise de construction IECSA, n’a pas été arrêté mais, en tant que «imputé collaborateur» (son nom figure dans les cahiers de Centeno et parmi les 38 accusés de l’affaire) il a déclaré avoir reçu des pressions de la part de fonctionnaires kirchneristes lors des campagnes présidentielles, en 2013 et 2015, pour qu’il apporte de l’argent. Angelo Calcaterra a également admis avoir payé des pots-de-vin aux fonctionnaires des deux gouvernements de Cristina Kirchner (2007-2015).

Parmi les repentis, Claudio Uberti a apporté un témoignage accablant pour le clan «K». Ex-responsable de l’organisme chargé des œuvres publiques et des concessions des autoroutes pendant le gouvernement de Nestor Kirchner, Uberti a déclaré devant la justice : «Le jour où Nestor Kirchner est décédé, il y avait 60 millions de dollars dans son appartement.» La déclaration d’Uberti est tout à fait cohérente avec les notes retrouvées dans les Cahiers de la corruption.

Ainsi, pendant les semaines précédant à la mort de l’ex-président, le chauffeur de Baratta avait apporté 13 900 000 de dollars au domicile situé rue Juncal à Buenos Aires. Par exemple, le jeudi 30 septembre 2010 : 1,8 millions de dollars ; le jeudi 7 octobre : 5,6 millions de dollars ; le jeudi 14 octobre : 3 millions de dollars ; le jeudi octobre : 3,5 millions de dollars. Pourquoi tous les jeudis ? Selon les explications de Centeno (le chauffeur de Baratta), ce jour-là était assigné à Baratta pour qu’il apporte le fruit de son propre circuit de récolte des pots-de-vin, tandis que le reste des jours de la semaine d’autres «récolteurs» se rendaient au domicile des Kirchner, avec des sacs remplis de dollars depuis les ministères ou organismes de l’État.

Rappelons que le Sénat argentin avait approuvé à l’unanimité la réalisation de perquisitions aux domiciles de Cristina Kirchner, le 22 août dernier, à la suite du levé partiel de l’immunité parlementaire dont elle bénéficie en tant que sénatrice. Deux des propriétés de l’ancienne présidente avaient été perquisitionnées, notamment son appartement de 250 m2 situé à Recoleta, quartier huppé de Buenos Aires. L’enquête s’est poursuivie le 27 décembre, avec la saisie de plus d’une trentaine d’œuvres d’art dont la valeur pourrait atteindre les 4 millions de dollars. Deux semaines auparavant, le 11 décembre, la Cour d’appel avait confirmé le procès contre l’ancienne dirigeante, et ordonné la mise sous séquestre de ses biens à hauteur de 38 millions de dollars !

Cristina Fernández de Kirchner a déjà été impliquée dans neuf autres affaires, dont sept pour corruption, et pour lesquelles elle devrait être prochainement jugée. Par ailleurs, le même jour de l’annonce de son procès, la Cour d’appel a également confirmé l’organisation d’un procès contre son ancien ministre de la Planification, Julio De Vido, accusé d’avoir été l’organisateur du réseau des «Cahiers de la corruption».

Eduardo UGOLINI