À presque quatre-vingt ans (le livre a été publié en portugais en 2012), Nélida Piñón revient sur ce qui a fait sa vie, des souvenirs, des pensées. Ce n’est pas un bilan, c’est un monologue amical adressé à ses lecteurs fidèles. Elle a été la première femme élue à l’Académie brésilienne des Lettres, et en a même été la présidente. Elle a reçu les prix littéraires les plus prestigieux, entre autres le Juan Rulfo (1995) et le Prince des Asturies (2005).
Photo : Editions des Femmes
Dans ce Livre d’heures, Nélida Piñón livre des souvenirs, ceux de sa famille d’origine galicienne, les siens, et des conseils qui, pour la plupart, consistent à marteler une idée centrale : pour nous dégager de la morosité qui a envahi le monde moderne, la seule opportunité qu’il nous reste est de faire vivre la culture. La culture elle aussi peut être considérée comme globale (puisque la mode a imposé cet anglicisme), alors globalisons la Grèce de l’Antiquité, le roman européen du XIXe siècle, l’épanouissement brésilien du XXe siècle. Tout est bon dans la culture, pourvu que nous la fassions vivre.
Au moment où s’installe à Brasilia ce qui pourrait très vite devenir une dictature, il est encore plus intéressant de découvrir l’expérience de cette femme de lettres qui, une génération plus tôt, a pu lutter avec d’autres contre cette «révolution militaire» qui a imposé une autorité dévastatrice pendant vingt ans. En compagnie de son chat, elle se livre à des activités quotidiennes, comme préparer son repas, boire un thé, et ces banalités l’aident à s’évader de sa cuisine ou de son salon pour revoir les nombreux pays dans lesquels elle a séjourné.
Elle ne peut éviter une dose d’autosatisfaction, au demeurant justifiée par sa trajectoire, mais qui pourrait bien être aussi la manifestation des doutes qu’elle ressent face à elle-même. Une grande pudeur est également au rendez-vous, et qu’elle parle de sa relation avec le portugais, qu’elle nomme «idiome lusitanien», de sa vision du christianisme ou de l’actualité douloureuse de son pays, elle entretient un flou plein de charme, qui est une des qualités de ces confessions nourries des classiques grecs, espagnols du Siècle d’or ou, souvent, des textes fondateurs de la chrétienté.
Ce n’est certainement pas le livre idéal pour découvrir Nélida Piñón. En revanche, il comblera ses lecteurs fidèles en leur faisant un cadeau unique : l’intimité d’une grande dame, d’une écrivaine de premier plan au Brésil.
Christian ROINAT
Mon livre d’heures de Nélida Piñón, traduit du portugais (Brésil) par Didier Voïta et Jane Lessa, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 224 p., 18 €. Nélida Piñón en français : Le jardin des oliviers, éd. Findakly /La maison de la passion / La force du destin / La république des rêves / Le temps des fruits / Fundador, éd. des femmes – Antoinette Fouque.
Née à Rio de Janeiro le 3 mai 1937. Nélida Piñón, est une écrivaine brésilienne. Ses grands-parents étaient des immigrants galiciens, de Cotobade dans la province de Pontevedra. Son livre Une république dos Sonhos traite de l’émigration telle que l’ont vécu ses grands-parents depuis la Galice au Brésil et les multiples difficultés et épreuves qu’ils subirent. Nélida Piñón a fait des études supérieures de journalisme dont elle est diplômée. Elle était la rédactrice en chef et membre du conseil éditorial de plusieurs revues au Brésil et à l’étranger. En 1996, elle fut la première femme à devenir membre de l’Académie brésilienne des lettres. En 2005, elle se voit décerner le prix Prince des Asturies de littérature.