Alberto Manguel, personnalité à part, a un peu touché à tout ce qui concerne la littérature et le livre. Auteur de textes en tout genre (romans, essais, pensées et même un opéra), il a aussi été enseignant, éditeur, traducteur. En 2015, alors qu’il vivait en France, il a été nommé directeur de la Bibliothèque nationale d’Argentine, poste qu’il a quitté en juillet 2018 après plusieurs polémiques internes. C’est à l’occasion de ce déménagement, du Poitou vers Buenos Aires, qu’il a écrit cette «élégie et quelques digressions», sous-titre de ce nouvel ouvrage.
Photo : Chauché écrit – ActesSud
Alberto Manguel avoue ne pas avoir de biographie définitive. On sait pourtant de lui qu’il est né à Buenos Aires en 1948 mais qu’il n’y a fait dans son enfance que de brefs passages. Il suivait les divers postes diplomatiques de son père, ambassadeur d’Argentine. On sait aussi qu’il a publié plusieurs dizaines de livres dans différents domaines et qu’il est un lecteur infatigable. Ce sont ses émotions de possesseur de livres qu’il nous fait partager avec ce Je remballe ma bibliothèque. Une élégie et quelques digressions.
Le livre, cet objet matériel rempli d’abstractions (images, idées, émotions), ce que Julio Ramón Ribeyro, ce génie péruvien injustement un peu trop ignoré, a parfaitement mis en scène dans une nouvelle remarquable (El polvo del saber / La poussière du savoir); la bibliothèque qu’on peut construire, défaire, tronquer, augmenter ; le lecteur, unique et multiple, aux dires de l’auteur, peut-être encore plus seul que le reste des mortels qui le sont infiniment : Alberto Manguel virevolte autour de ces thèmes.
Il revient sur les problèmes éternels du bibliophile : comment classer ses livres ? Peut-on ordonner les souvenirs enfermés dans des objets en carton et en papier ? Il se dévoile un peu aussi, forcément : si on se met à parler de ses lectures, de ses livres, on parle forcément de soi. Il revient souvent sur la notion de solitude, celle du lecteur est-elle avérée ? Il bénéficie, lui au moins, en tant que lecteur, de l’omniprésence de l’auteur par l’intermédiaire du texte.
Alberto Manguel virevolte, un sujet en provoque un autre. Pardon et vengeance, perte et manque qui en résultent et qui peuvent se révéler très positifs : sans la perte de sa bibliothèque, don Quichotte n’aurait jamais entrepris ses héroïques aventures, il aurait lu, enfermé en sa demeure.
Il virevolte aussi parmi les écrivains, ceux qu’il a fréquentés, Jorge Luis Borges ou Silvina Ocampo dont il a été proche, ou d’autres comme Nabokov, Shakespeare, Kafka. Il n’y a de toute évidence aucune frontière dans l’univers livresque. Il le fait sans aucune pédanterie. Les «chapitres» sont courts, entrecoupés par des «digressions», celles qui sont annoncées dans le sous-titre, qui sont autant d’autres pensées autour du livre et de la lecture, ce qui rend cette lecture-ci facile, d’autant qu’Alberto Manguel s’adresse à nous comme à un familier qui serait allé le saluer un après-midi et qui l’aurait surpris près de ses livres en train de lire ou de méditer.
Christian ROINAT
Je remballe ma bibliothèque. Une élégie et quelques digressions d’Alberto Manguel, traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Bœuf, éd. Actes Sud, 160 p., 18 €.
Né en Argentine en 1948, Alberto Manguel a passé ses premières années à Tel-Aviv où son père était ambassadeur. En 1968, il quitte l’Argentine, avant les terribles répressions de la dictature militaire. Il parcourt le monde et vit, tour à tour, en France, en Angleterre, en Italie, à Tahiti et au Canada, dont il prend la nationalité. Ses activités de traducteur, d’éditeur et de critique littéraire le conduisent naturellement à se tourner vers l’écriture. Composée d’essais et de romans, son oeuvre est internationalement reconnue. Depuis 2001, Alberto Manguel vit en France, près de Poitiers. Ont récemment été publiés chez Actes Sud : La Cité des mots (essai, 2009) et Nouvel éloge de la folie (essai, 2011), Le Voyageur et la Tour. Le Lecteur comme métaphore (2013), De la curiosité (2015).