Asunción, Paraguay. Chela, riche héritière, a mené la grande vie pendant trente ans avec Chiquita. Mais, au bord de la faillite, elle doit vendre tous ses biens et regarde Chiquita, accusée de fraude, partir en prison. Alors qu’elle n’a pas conduit depuis des années, Chela accepte de faire le taxi pour un groupe de riches femmes âgées de son quartier et fait la rencontre d’Angy. À ses côtés, Chela prend confiance en elle et cherche à ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. Nous n’avons pas beaucoup l’occasion de voir des films paraguayens. Celui-ci a particulièrement frappé la Berlinale où il a obtenu trois prix (prix d’interprétation, prix de la critique et Ours d’argent du premier film).
Photo : Berlinale-2018
Marcelo Martinessi explique très bien la genèse de son film : «Il est impossible de parler du cinéma paraguayen sans avoir conscience des années sombres de son histoire et des nombreuses décennies durant lesquelles on ne pouvait pas réaliser de film. Dans les années 1960 et 1970, alors que le reste de l’Amérique latine racontait ses propres histoires sur grand écran, mon pays est resté invisible. La construction de notre propre cinématographie est donc aujourd’hui un défi majeur pour ma génération. Quand j’ai écrit l’histoire de Chela et Chiquita, j’ai réalisé que j’essayais de créer un dialogue avec cette période d’obscurité et avec une société qui ne veut pas changer, qui préfère rester cachée, accrochée à son ombre.»
«Le coup d’État le plus récent (2012) a montré qu’il y a toujours eu une sorte de complicité entre notre petite bourgeoisie et les régimes autoritaires. Et je ne parle pas seulement des personnages forts qui ont façonné leur époque à coups de bottes et de fusils jusqu’à la fin des années 1980. Les nouveaux leaders «démocratiques», qui partagent désormais les bénéfices de la corruption et du trafic de drogue, ont eux aussi besoin de cette complicité pour inspirer les mêmes peurs et maintenir les mêmes silences. Personnellement, je m’intéresse à la vie quotidienne en dehors de ces zones de pouvoir…»
Chela, qui se retrouve seule après l’arrestation de Chiquita, vit dans un milieu fermé : sa maison, la prison où elle rend visite à Chiquita, et même ensuite sa voiture où elle conduit les riches mamies du quartier. Elle ne s’ouvrira qu’avec la rencontre d’Angy, qui ne participe pas à ce petit monde de commérage et qui a des problèmes personnels. Elle voit qu’elle peut fuir son enfermement. «J’ai eu un point de départ clair de l’histoire mais j’ai permis aux personnages de trouver une fin. Puis, au-delà des sentiments d’enfermement qui ont déclenché le processus d’écriture, et même au-delà de l’obscurité que je percevais comme le seul avenir possible pour mon pays, ces personnages m’ont montré qu’il y avait peut-être une porte ouverte à un nouveau départ. Ce fut une découverte magnifique et inattendue.»
Car dans sa voiture, Chela commence à percevoir qu’il existe un monde extérieur. Le réalisateur a trouvé et a su filmer des actrices formidables pour porter ce film (où l’on ne voit pratiquement pas d’hommes) qui n’a rien de caricatural. Encore un film qui montre le rôle des bonnes dans les familles bourgeoises. Les Héritières, premier film de Marcelo Martinessi, sera en salle à partir du 28 novembre.
Alain LIATARD