Le dernier livre de María Poblete, La dictature nous avait jetés là…, publié en octobre chez Actes Sud Junior, est un récit d’exil autobiographique, écrit à hauteur d’enfant avec une portée universelle. Ce livre évoque donc l’histoire d’autres enfants, notamment chiliens, qui ont suivi en exil leurs parents et dont on a souvent ignoré les souffrances et difficultés.
Photo : Actes Sud
Maria Poblete vit à Paris et est née en 1964 au Chili, pays qu’elle a fui avec sa famille à la suite du coup d’état militaire du général Pinochet en 1973. Elle est arrivée en France à l’âge de neuf ans. Après des études de sociologie et d’ethnologie à Lyon, elle devient journaliste indépendante et se spécialise dans les sujets de sociétés, notamment sur les thèmes de la résistance et de la mémoire. Elle couvre l’actualité latino-américaine pour des radios nationales françaises (France Info, Radio France Internationale, Europe 1) et la presse audiovisuelle et écrite, à la fois française et chilienne. Elle collabore avec diverses publications grand public ou spécialisées dans l’enfance, la famille et l’éducation (L’Étudiant, Marie-Claire Enfants… ). Auteure d’ouvrages d’enquête, d’essais et de romans jeunesse, elle participe régulièrement à des résidences d’écrivain, parfois en milieu scolaire. Dans la collection Ceux qui ont dit non d’Actes Sud junior, elle est l’auteure de Lucie Aubrac, “Non au nazisme”, Simone Veil, “Non aux avortements clandestins” et Célestin Freinet, “Non à l’ennui à l’école” ainsi que co-auteure de Non à l’intolérance, Non à l’indifférence et Non à l’individualisme.
Lorsque le général Pinochet prend le pouvoir au Chili le 11 septembre 1973 à la suite d’un putsch, Maria a presque neuf ans (moins 45 jours). La radio des parents de Maria se met à grésiller : Pinochet avec sa voix inoubliable annonce les premières mesures pour le pays et le nouvel ordre militaire. Parents et enfants tremblent en écoutant. Les années de plomb qui suivent cet événement vont provoquer des milliers de mort, des disparitions, des tortures et le premier grand exil chilien dont Maria et sa famille. «En moins de temps qu’il n’en faut pour comprendre ce qui se trame, nous voilà à bord de l’avion. Avec mes sœurs, on se tient les mains, serrées. Le ventre serré lui aussi. Je m’endors comme chaque fois que j’ai peur, que je suis triste ou énervée. Je préfère m’éteindre et rêver. La nuit m’enveloppe. L’appareil me berce. Son ronronnement est étouffé par l’oxygène qui semble manquer. Personne ne dit un mot. Nous posons sur nos épaules le manteau du silence», nous dit la narratrice.
Arrivés à Paris, puis à Lyon, il leur faut tout recommencer : nouvelle langue, nouveau quartier, nouvelle école, nouveaux amis… Les Poblete vont devoir s’adapter à cette nouvelle société avec des habitudes si différentes des leurs tout en suivant de loin, avec inquiétude, la répression et la lutte qui s’installent dans leur pays natal. Maria, nous raconte une enfance et adolescence particulières. Aujourd’hui, quarante-cinq ans plus tard, elle se souvient de ces années qui l’ont marquée pour toujours : le joug de la dictature, le départ précipité vers la France, la famille en danger, l’arrivée dans l’inconnu, la lutte pour s’intégrer, la sensation permanente d’inquiétude , la séparation des parents et inconfortable dépaysement, la dispersion de la famille. Un récit de vie intime et poignant sur la dictature et l’exil forcé . Une plongée dans le passé où les souvenirs surgissent avec tristesse et bouleversement.
Pour les adolescents, pour les adultes, ce livre est le récit d’une chute brutale : la fin des rêves et l’exil. Une histoire d’enfance qui pourrait être celle partagée par beaucoup d’enfants exiles ou immigrés d’hier et d’aujourd’hui. C’est un beau livre, indispensable en cette époque où ces mots exil, asile, immigration provoquent malaise et peurs dans nos sociétés. Parce que l’exil ce n’est pas un vain mot, ce n’est pas se déplacer d’une rive à une autre ou d’un pays à un autre, l’exil c’est s’arracher de son propre pays parce que c’est l’unique alternative qui reste pour échapper à l’oppression, à la guerre, à la famine, au malheur.
Ce livre évoque aussi l’histoire de l’accueil de l’époque, de la solidarité qui a tant aidé à soulager la souffrance et à l’intégration de ces familles, tel un miroir de ce qu’aurait pu être l’«accueil» réservé aujourd’hui par la France et l’Europe aux «migrants». C’est un court roman de souvenir qu’il faut lire, tant il nous révèle notre propre actualité. Un témoignage personnel basé sur des faits réels et à dimension universelle, écrit à hauteur d’enfant pour jeunes et adultes.
Olga BARRY
La dictature nous avait jetés là… par Maria Poblete aux éditions Actes Sud Junior, 124 p.
Maria Poblet a écrit aussi : La Colonie du Docteur Schaefer, une secte nazie au pays de Pinochet, avec Frédéric Ploquin, Fayard, 2003 / Lucie Aubrac, Non au nazisme, (Collection « Ceux qui ont dit Non »), Actes Sud junior, 2008 / Simone Veil, Non aux avortements clandestins (Collection « Ceux qui ont dit Non »), Actes Sud junior, 2009 / Sauvons la maternelle, avec Thérèse Boisdon, Bayard, 2009 / Comment mettre mon ado au travail, L’Étudiant, 2010 / Cannabis : comment aider mon ado à s’en sortir, L’Étudiant, 2011 / Non à l’individualisme, Actes Sud junior, 2011 / Non à l’indifférence, Actes Sud junior, 2013