Le lanceur d’alerte Julian Assange a trouvé refuge auprès des autorités politiques de l’Équateur depuis 2012. Cependant, les liens entre le fondateur de Wikileaks et le pays andin semblent s’émietter peu à peu. Entre interdiction d’utiliser Twitter et de critiquer la vie politique équatorienne, l’avocat d’Assange dresse le portrait d’une situation tendue.
Photo : Sputnik France
Le jeudi 18 octobre, l’ancien juge espagnol Baltasar Garzón, avocat de l’entrepreneur Australien exilé à Londres, a reproché la « situation inhumaine » de son client depuis le mois d’août, lorsque l’administration du président équatorien Lenin Moreno a décidé un changement du protocole concernant « les conditions minimales de séjour du demandeur d’asile ». Les autorités du pays andin ont remis à Julian Assange et à ses proches un règlement intérieur, ou « protocole spécial de visite, de communication et d’attention médicale », selon lequel il était « presque entièrement responsable de ses soins personnels, y compris le nettoyage de sa salle de bain et l’alimentation et l’hygiène de son chat, sous peine de confiscation de l’animal. » Ces nouvelles mesures d’«imposition unilatérale » selon Carlos Poveda, l’un des avocats d’Assange en Equateur, visent à affaiblir l’asile accordé à Assange, avec des restrictions « plus sévères que celle d’une prison commune ».
Rappelons que l’affaire remonte à août 2010, lorsque l’Interpol et les autorités suédoises lancèrent des recherches contre le désormais célèbre hôte de l’ambassade de l’Equateur à Londres, accusé d’abus sexuels (viols) commis sur le pays nordique. Après quelques mois, Julian Assage se rend à la police londonienne avec l’intention de coopérer, mais un juge britannique confirme son extradition en février 2011. Assange avait rejeté son extradition vers la Suède, en arguant que ce pays le livrerait aux Etats-Unis, où il risque la réclusion à perpétuité, voire la peine de mort, pour avoir publié de nombreux documents diplomatiques et des secrets militaires détaillant les actions de la Maison Blanche dans différents pays du Moyen-Orient. C’est alors qu’intervient Rafael Correa, et l’un des poids lourds de la gauche sud-américaine, connu par sa position « anti-américaine ». Correa, à l’époque président de l’Equateur, offre l’asile au fondateur de Wikileaks le 19 juin 2012, et, depuis ce temps, Assage a fait de l’ambassade d’Equateur à Londres une sorte de cage dorée.
Cependant, bien que l’affaire de crimes sexuels soit désormais classée sans suite, depuis mars 2018 l’horizon de l’ex-Wikileaks n’a cessé de s’assombrir, notamment après l’interdiction d’accès à son compte Twitter, lequel ne pouvait être utilisé qu’en cas d’«extrême urgence » pour contacter ses avocats. Cette restriction trouve son origine dans une déclaration publique de Mr Assange. Contrevenant aux ordres des autorités équatoriennes, il a publié sur le réseau social certains commentaires politiques, que Quito considère préjudiciables pour ses relations extérieures.
Cette affaire, digne d’un film d’espionnage, a lieu au moment où l’entreprise Wikileaks est accusée, dans un procès contre le comité démocratique National des États-Unis, d’avoir facilité à la Russie, en 2016, le vol d’informations quant aux dernières élections présidentielles remportées par Donald Trump. Selon l’enquête judiciaire, « 12 espions russes avaient volé des informations de 500 000 votants » ; et ce n’est pas tout : « des articles ont été envoyés dans l’objectif d’influencer le résultat des élections. » Ainsi, pour la justice américaine, la publication de 20 000 e-mails par le site Wikileaks, considéré jadis comme un lanceur d’alerte très sérieux, aurait joué un rôle décisif dans la dynamique électorale en défaveur de la candidate démocrate Hilary Clinton.
A présent, le cas « Assange », est devenu l’enjeu politique du combat déclaré entre l’ex-chef d’Etat Rafael Correa (2007-2017) et l’actuel président Lenin Moreno, tous deux membres du parti Alianza Pais (AP). La relation entre les anciens alliés s’est dégradée lorsque Moreno, qui a été vice-président entre 2007 et 2013, a proposé un référendum constitutionnel pour limiter le nombre de mandats présidentiels, empêchant ainsi Rafael Correa de se représenter aux élections de son pays en 2021. Ce changement de la constitution proposé par le référendum du 4 février, a été approuvé par la majorité des Équatoriens désireux de tourner la page de l’ère Correa. Or ce dernier, qualifiant Lenin Moreno de « traître » et de « loup aux allures de mouton », a accusé son successeur de se soumettre face aux États-Unis en voulant utiliser ce scrutin pour le marginaliser définitivement.
En attendant la suite, Rafael Correa réside actuellement en Belgique et a été convoqué par la justice, soupçonné d’avoir commandité une tentative d’enlèvement d’un opposant politique en 2012, tandis que la complexité de la situation de Julian Assange cache la véritable intention de l’actuel gouvernement équatorien : se débarrasser de lui, comme le montrent les dernières déclarations de Moreno, qui a qualifié l’exilé australien de « hacker » et de « problème hérité » qui constitue « plus qu’un tracas ».
Eduardo UGOLINI