Porto Alegre, quinze ans après le «tournant du millénaire». Daniel Galera, un des auteurs brésiliens contemporains les plus influents, reprend les thèmes qui lui sont chers : la crise de la société brésilienne sur fond d’Internet et des réseaux sociaux. Minuit vingt dresse le tableau d’une métropole saturée, exsangue, et plus généralement d’une société au bord de l’explosion, sociale et politique, à travers un roman aux fausses allures de thriller.
Photo : saopauloreview/Albin Michel
Tout commence par un mort. Andrei, dit «Duc», écrivain, a été assassiné, au détour d’une rue. C’est un «tournant» qui ramène le passé, le passé d’avant le millénaire, dans un présent qui s’étouffe, l’occasion funeste des retrouvailles de son groupe d’amis avec lesquels, quinze ans plus tôt, il avait créé un fanzine, L’Orang-Outan.
Trois amis qui retracent, chacun leur tour, à la manière d’un puzzle, leur souvenir de celui qui a disparu et leur propre quotidien, tous liés, d’une façon ou d’une autre. Aurora, doctorante en biologie, confrontée aux difficultés d’un monde académique impitoyable et machiste, et aux échecs successifs des relations amoureuses auxquelles elle ne croit plus. Emiliano, écrivain, lui aussi, homosexuel dans une société qui ne l’accepte pas, engagé dans l’écriture de la biographie d’Andrei. Et Antero, professeur et écrivain, à la recherche de l’excitation d’un quotidien qui l’étouffe dans une sexualité débridée.
«L’horreur» est partout, grouillante, purulente, et vide, vide de sens. C’est peut-être ce vide, finalement, le plus terrible. À travers leurs récits, ce sont surtout des valeurs, un rapport au monde, qu’ils recherchent, chacun à leur manière. À quoi croit-on encore d’ailleurs sinon à la fin, quand tout a changé si vite ? Comment réinvente-t-on un monde qui semble voué à sa propre destruction ? La campagne de la fin du millénaire, en opposition à la ville, tentaculaire, monstrueuse, revient, portée par la nostalgie d’un temps achevé. «Minuit vingt», c’est cette envie de la faire durer, faire durer ce temps qu’ils n’auraient jamais voulu voir s’achever : «notre désir de la voir durer pour toujours était si fort que nous n’avons même pas fait attention au tournant du millénaire. […] C’est Andrei qui avait annoncé, d’un coup, à la surprise générale, qu’il était déjà minuit vingt.»
C’est le portrait d’une génération brésilienne du «tournant», avec ses questions et ses angoisses, que nous propose Daniel Galera dans ce roman apocalyptique aux multiples voix, aux multiples regards, aux multiples psychologies, dessinées avec brio et précision. La fin, inexorable, est annoncée dès le début, et pourtant, on veut y croire, tous veulent y croire : une lueur d’espoir –une lueur d’amour ?– existe-t-elle encore, quelque part ? À la campagne, peut-être ?
Clémence DEMAY
Minuit vingt de Daniel Galera, traduit du portugais (Brésil) par Régis de Sa Moreira, Albin Michel, 272 p., 20 €. Daniel Galera en portugais : Meia-noite e vinte, Companhia das Letras.