Alors que d’autres cas de corruption plongent le Pérou dans l’une de ses crises les plus graves de son histoire, l’arrestation de Keiko Fujimori a eu lieu le mercredi 10 octobre, dans le cadre de l’affaire Odebrecht. La leader du principal parti de l’opposition est accusée d’avoir organisé «un stratagème pour commettre un crime» et d’avoir «blanchi» de l’argent illicite pour financer sa campagne présidentielle de 2011.
Photo : Trome
«Aujourd’hui, j’ai été arrêtée sans motif légal au moment où je me présentais volontairement» dans le bureau du juge pour être entendue sur le financement de la campagne électorale à la présidentielle de 2011, a twitté l’opposante âgée de 43 ans, qui se considère victime de «persécution politique». Keiko Fujimori, battue lors du second tour lors de ses deux candidatures à la présidence (2011 et 2016), est disposée à coopérer : «elle est à la disposition du parquet», a déclaré son avocate Giuliana Loza, qui considère cette décision comme un «abus de droit».
Mais, pour Victor Prado, cette arrestation préliminaire pour le présumé blanchiment d’argent n’est pas une revanche. En effet, le président du pouvoir judiciaire du Pérou a rejeté les propos de Mme Fujimori ainsi que les critiques de ses partisans contre l’arrestation, car «de telles observations ne répondent à aucun aspect de la réalité concrète», a-t-il déclaré à la presse. Pendant ce temps, le juge Richard Concepción Carhuancho a ordonné également l’arrestation d’une vingtaine d’autres personnes, dont des dirigeants de Fuerza Popular, le parti de Keiko Fujimori.
Selon les enquêtes, la fille de l’ancien président Alberto Fujimori a financé une partie de la campagne présidentielle avec de l’argent versé par le géant du bâtiment Odebrecht. En 2017, d’anciens dirigeants de l’entreprise brésilienne, aujourd’hui au cœur d’un scandale de pots-de-vin pour obtenir des chantiers en Amérique latine, ont déclaré avoir remis 1,2 millions de dollars pour la demande en 2011. L’argent a été «collecté» lors de cocktails, ce qui a valu à l’affaire Keiko Fujimori le nom de «Case coktails».
L’ancien patron d’Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, a reconnu avoir versé de l’argent à deux des dirigeants du parti de Keiko, Jaime Yoshiyama et Augusto Bedoya, dont les maisons ont été perquisitionnées en mars dernier. Jorge Barata avait également avoué à la justice péruvienne avoir «contribué» aux campagnes électorales d’Ollanta Humala (2011-2016), Alejandro Toledo (2001-2006) et Pedro Pablo Kuczynski, l’ex-chef de l’État élu en 2016 qui a démissionné en mars 2018 sur fond de scandale de corruption.
Ces arrestations au sein de l’opposition interviennent alors que la grâce de l’ancien président Alberto Fujimori (1990-2000) a été annulée mercredi 10 octobre par la justice péruvienne. L’ex-homme fort du Pérou, qui a récemment fêté ses 80 ans, avait été gracié en décembre pour raison de santé alors qu’il purgeait une peine de vingt-cinq années de prison pour crimes contre l’humanité et corruption.
L’ex-chef de l’État, hospitalisé depuis ce jour-là dans une clinique de Lima sous surveillance policière, est considéré comme un détenu par la justice, tandis que sa fille, depuis sa défaite de justesse face à Pedro Pablo Kuczynski en 2016, dirige l’opposition péruvienne sur fond de rivalité avec son petit frère, Kenji. Âgé de 39 ans, Kenji Fujimori est devenu une personnalité politique de premier plan, bien que, pour la majorité des Péruviens, il est l’enfant gâté de la dynastie Fujimori : lorsque son père fut élu président, il «baladait ses amis en hélicoptère de l’armée ou s’amusait à effrayer les journalistes avec un boa apprivoisé».
Malgré son ascension fulgurante –il fut élu député en 2011–, le jeune Kenji «a redoublé trois fois au cours de sa scolarité, ce qui a longtemps fait courir des rumeurs sur un supposé retard mental». Pour Adriana Urrutia, politologue péruvienne spécialiste du «fujimorisme», Kenji «peine à se dépêtrer de cette image d’adolescent un peu benêt», comme l’explique le journaliste Romain Houeix à propos d’une vidéo «franchement gênante, d’un Kenji adolescent jouant avec son chien [qui] ne fait rien pour les démentir : l’héritier d’Alberto y apparaît quasi arriéré et se livre à des jeux possédant un double-sens graveleux». Et il ajoute : «encore aujourd’hui, il arrive qu’on lui demande de s’expliquer sur cette vidéo avec son chien. Il a même dû démentir être zoophile en 2013».
Le fils chéri des Fujimori a été éclaboussé par une affaire de corruption passive, révélée par une vidéo le 20 mars, où l’on peut le voir en train de négocier, en décembre dernier, un achat de votes lors de la procédure de destitution de l’ancien président Pedro Pablo Kuczinski. De son côté, sa sœur Keiko a déclaré qu’elle n’arrêtera pas de se battre pour réaliser son rêve de gouverner le Pérou, et a demandé que le Congrès lève l’immunité parlementaire de son frère. «Ce n’est pas une lutte contre la corruption, mais une lutte pour le pouvoir» a répliqué Kenji à propos de cette guerre fratricide. Ainsi, pour les futures élections de 2021, certains voient déjà le peuple péruvien pris en étau par un duel Fujimori contre Fujimori.
Eduardo UGOLINI