On peut se demander, alors qu’il faisait si beau à Biarritz et que la mer était calme, pourquoi plusieurs centaines de spectateurs se sont enfermées dans la salle de la Gare du Midi pour voir un film de quatorze heures (808 minutes exactement), intitulé La Flor de l’Argentin Mariano Llinás. Cette projection était l’événement du festival, comme cela l’avait déjà été en août au festival international du film de Locarno. Un film-fleuve de quatorze heures qui a remporté le prix du jury.
Photo : La Flor
Présenté en trois parties en début d’après-midi durant trois jours, ce film n’est pas une série, mais six histoires : quatre qui commencent et qui ne se terminent pas car elles s’arrêtent à mi-parcours ;la cinquième, elle, est complète, et quant à la sixième, elle commence au milieu et met un point final au film. Ces six histoires ont comme point commun quatre actrices, jouant à chaque fois un rôle différent. Le tournage du film a duré sept ans. Chaque histoire appartient à un genre différent : thriller, comédie musicale, science-fiction, film de sorcières ; hommage à la Partie de campagne de Jean Renoir (film lui-même incomplet).
Le film est vraiment réussi même si, sur la longueur, il y a quelques passages à vide. L’interprétation est très bonne et le film tient remarquablement par la qualité de la photographie et de la musique. Le jury, présidé par Laurent Cantet, le réalisateur de Retour à Ithaque (2014), lui a accordé le prix du jury doté de 3000 euros qui permettra au film, nous l’espérons, d’être vu en France.
C’est le film colombien de Cristina Gallego et de Ciro Guerra, Pájaros de verano, déjà présenté en ouverture à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, qui a remporté l’Abrazo du festival, gratifié de 8000 euros pour faciliter sa sortie en France. C’est un film réussi sur les débuts du trafic de la drogue en Colombie. Dans ce peuple Wayuu où le matriarcat est important, la demande américaine de Marijuana des années 1980 va introduire une guerre des clans. Se construit peu à peu un empire qui marque la fin d’une manière de vivre indigène. C’est la naissance des cartels de la drogue. Merveilleusement réalisé et parlé dans la langue des Wayuu, le film nous montre un aspect peu connu de l’histoire de la drogue en Colombie.
Le prix du public est allé à l’émouvant film d’Álvaro Brechner, Compañeros (La Noche de 12 años), qui suit l’histoire de trois prisonniers, otages de la dictature uruguayenne, emprisonnés de 1973 à 1985, jetés dans de petites cellules sans pouvoir parler, voir ou dormir. Ils arriveront à lutter contre la folie. L’un, Mauricio Rosencof, devenu écrivain et dramaturge, racontera ses années horribles ; un autre deviendra le président de l’Uruguay de 2010 à 2015, José Mujica. En compagnie de Fernández Huidobro et Mauricio Rosencof, il communiquait en tapant sur les murs. Dans la rétrospective consacrée à l’Uruguay, un documentaire, El Círculo de José Pedro Charlo et Aldo Garay (2008) raconte leur histoire, ainsi que celle d’Henry Engler qui fut le chef des Tupamaros.
Cómprame un revólver de Julio Hernández Cordón se déroule dans un Mexique intemporel où une petite fille, pour aider son junkie de père qui garde un terrain de baseball, porte un masque dissimulant sa féminité. Le film est très impressionnant, surtout lorsque l’on voit deux groupes de trafiquants de drogue s’affronter, mieux armés que l’État mexicain lui-même.
Signalons aussi deux autres films au déroulement très lent : La Muerte del maestro, un très court film de José María Avilés, très beau, sur la nature équatorienne, et Malambo, el hombre bueno de l’argentin Santiago Loza, film passionnant sur un danseur de malambo, une danse dont l’origine vient des gauchos de la pampa.
En ce qui concerne les documentaires, c’est le film brésilien sur la performeuse Linn de Quebrada, Bixa travesty, réalisé par Claudia Priscilla et Kiko Golfman, qui remporta le prix décerné par le jury présidé par la cinéaste colombienne Catalina Villar.
Les rencontres littéraires de cette année étaient consacrées à Karla Suárez (Cuba), accompagné d’un hommage au journaliste et écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti (1909-1994).
Nous signalons enfin que, cette année encore, le village du 27e Festival Biarritz Amérique latine était très animé jusque tard dans la nuit avec sa musique et ses boutiques d’artisanat, sans oublier le très beau concert du Daniel Mille quintet consacré à Astor Piazzolla.
Alain LIATARD