María Sonia Cristoff est une auteure argentine qui a grandi en Patagonie avec sa famille d’origine bulgare. Adolescente, elle se rend compte que l’isolement est le trait le plus caractéristique de cette contrée lointaine et retirée, ce territoire qui compte parmi les moins peuplés au monde. Elle dresse dans Faux Calme, un livre de non-fiction récemment traduit en français, une série de portraits patagoniens qui illustrent différents aspects de cet isolement.
Photo : Revista Vísperas/Éditions du sous-sol
María Sonia Cristoff nous livre dans Faux calme des témoignages d’habitants de quatre villages-fantômes et d’une ville-fantôme. Les portraits proposent toujours un point de vue original, une unicité propre et sont parfois à la limite du champ de la science-fiction. Faux calme est en effet un livre de sciences sociales pétri de différentes influences qui relèvent du légendaire, du mystique, mais pas seulement. Les récits de voyage constituent la première source d’innutrition littéraire dans ces scènes descriptives. L’originalité du livre repose également sur l’alternance des récits avec les propres souvenirs de l’auteure, avec des coupures de presse qui appuient la chronologie des événements racontés, des extraits de romans…
María Sonia Cristoff illustre l’isolement en retraçant les histoires individuelles de personnes qui ne s’intègrent que peu dans l’histoire collective de la Patagonie. Les locaux qu’elle a fréquentés sont tous très différents les uns des autres, tous liés car ils sont à la marge du monde, même si leurs isolements respectifs ne prennent pas la même forme la plupart du temps. On retrouvera par exemple sur le même plan le récit de la vie d’un homme qui est passionné d’avion mais qui ne voyage pas et reste les pieds ancrés dans sa terre patagonienne, et le récit de la vie d’une femme dont l’histoire familiale et émotionnelle est chaotique depuis toujours, mais qui explique comment être heureuse.
Ces paroles innocemment énoncées et brillamment retranscrites interrogent sur l’état des grandes questions sociales dans les territoires patagoniens. Quid de l’éducation et de la survie des cultures amérindiennes ? À l’instar de l’œuvre magnifique La Place d’Annie Ernaux, María Sonia Cristoff pose la question de la culture intellectuelle face à la culture du sol, en prenant l’exemple des Mapuches dont la langue disparaît et pour qui la pratique d’activités traditionnelles telles que le tissage est un moyen de défendre leurs origines pour les descendants.
Quid du vernis social superficiel, de ces liens que l’on conserve en société et dont on se détache une fois isolé ? Sous couvert d’un travail d’enquêtrice, l’auteure montre l’abandon des discussions inutiles et du futile dans la Patagonie. Quid de la place de la femme au sein de son foyer et de sa famille ? Ce ne sont là que quelques-unes des thématiques abordées dans Faux calme. María Sonia Cristoff n’apporte aucun jugement ou aucune sentence définitive dans son récit. Il s’agit uniquement d’écouter ces voix lointaines enfin mises sur le devant de la scène et de recueillir leurs paroles.
Nina MORELLI