Les récentes mobilisations des femmes latino-américaines pour le droit à l’avortement ont mis sur le devant de la scène les questions liées à la liberté de disposer de son corps dans un certain nombre de pays du continent. Comme l’a montré le refus du Sénat argentin d’autoriser un avortement libre, ces questions se heurtent en Amérique latine à une partie de la société qui refuse la libéralisation des mœurs. Au côté de l’avortement, un autre grand sujet de société dans son rapport au corps et à la sexualité est aujourd’hui l’homosexualité et les minorités sexuelles.
Photo : Carlos Rasso/Radio Canada
Dans ce domaine, l’Amérique latine, comme le reste du monde, est confrontée à des mouvements défendant les droits LGBTI. Les législations actuellement en vigueur sur le continent américain sont très diverses et il est difficile d’en faire un compte-rendu clair en peu de mots. Toutefois, nous pouvons dégager quelques grandes lignes qui caractérisent les droits LGBTI en Amérique latine.
Commençons par noter que plusieurs pays ont des législations criminalisant le comportement des personnes LGBTI. Il existe plusieurs «façons» de discriminer ces personnes dans la loi. Selon un rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme de 2015 sur les violences contre les personnes LGBTI, onze pays de l’Organisation des États américains (OEA) continuent de criminaliser les relations sexuelles entre personnes majeures, consentantes, de même sexe. Ces législations utilisent la criminalisation de la sodomie, mais également des formules vagues comme «délit contre l’ordre naturel» ou «délits anti-naturels».
Ce même rapport indique que certains autres pays ont dans leur législation des articles qui peuvent discriminer les personnes LGBTI. Ainsi des législations prohibant les conduites «indécentes» sans définir ce qu’est l’indécence ouvrent la porte à la condamnation des personnes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles, de la même manière que les lois protégeant la «morale publique».
Ces dispositions législatives existent dans de nombreux pays des Caraïbes, mais également au Guyana par exemple. Ce pays considère l’homosexualité comme un attentat à la pudeur sanctionné par deux ans de prison et que la sodomie peut valoir la prison à perpétuité. Que ces lois soient peu appliquées ne les empêche pas de créer un climat social discriminant et de favoriser les violences contre les personnes sortant de la norme.
Outre la criminalisation dont les personnes LGBTI peuvent être victimes, l’égalité des droits n’est pas toujours garantie par les États, et plusieurs pays continuent à refuser aux minorités sexuelles ce qu’ils accordent aux autres citoyens.
Ainsi, au Paraguay, la Constitution interdit toute forme d’union civile entre personnes de même sexe, et la Bolivie, le Pérou, le Suriname et le Venezuela ne permettent pas non plus une union civile pour les couples homosexuels. Le Chili a quant à lui mis en place une union civile, mais refuse le mariage aux couples LGBTI.
La plupart des législations criminalisant ou discriminant les minorités ont été introduites au moment de la colonisation, en application de la loi de la métropole, que ce soit le Royaume-Uni, l’Espagne, la France, le Portugal ou les Pays-Bas. Le maintien de ces lois, ensuite, est souvent dû à l’importance des croyances religieuses dans ces pays, et à l’influence grandissante des églises évangéliques dans les pays latino-américains et caribéens compliquent le combat des défenseurs des droits LGBTI.
Par ailleurs, d’autres éléments jouent en défaveur des personnes LGBTI en Amérique latine. Tout d’abord, la relative impunité et l’invisibilisation de ces communautés. En effet, les personnes victimes de violences ou de discriminations ne recourent que rarement à la justice pour faire respecter leur droit. La défiance envers la justice et les forces de l’ordre est suffisamment forte pour décourager les personnes LGBTI de recourir aux institutions de l’État en cas de violation de leurs droits, que ces violations soient liées ou non à leur identité ou leur orientation sexuelle.
Ensuite, la négligence des autorités sur le thème des droits LGBTI ne permet souvent pas d’avoir une idée exacte de la situation : l’aspect discriminant, homophobe, transphobe ou autre n’est pas forcément pris en compte. Les corps de femmes trans victimes de meurtres peuvent être enregistrés comme «homme habillé avec des vêtements de femme» par exemple, et ces cas sortent des statistiques officielles.
Bien évidemment, la violence directe reste très présente. Entre janvier 2013 et mars 2014, 594 personnes LGBTI ou perçues comme telles ont été assassinées en Amérique latine et dans les Caraïbes à cause de leur identité sexuelle, réelle ou supposée. De plus, dans plusieurs cas, les forces de l’ordre sont impliquées dans ces crimes, que ce soit en Amérique centrale comme dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Les exemples de violence exercée par les forces de sécurité sont nombreux sur tout le continent. Ces violences peuvent être des exécutions sommaires, des actes de tortures, de barbarie, etc.
Outre ces violences, les autorités sont également responsables de nombreuses violations des droits tels que l’usage excessif de la force ou la détention arbitraire. D’après Amnesty International, le Brésil est le pays le plus mortifère pour les personnes transsexuelles et d’autres pays, tels que l’Argentine, le Honduras, le Salvador, la République dominicaine ou le Venezuela connaissent de hauts niveaux de violence qui se maintiennent malgré les politiques publiques. Cela mène l’organisation à pointer du doigt la tolérance de ces pays envers les discours haineux qui pourraient expliquer le maintien de ces violences.
D’après la Commission interaméricaine des droits de l’homme, les crimes contre les personnes LGBTI se caractérisent par un «haut niveau de violence et de cruauté» en comparaison aux crimes ne visant pas ces personnes. La Commission donne l’exemple des mutilations, des décapitations, des lapidations, des brûlures, des empalements et des actes de tortures pré-mortem qui sont beaucoup plus courants dans les cas de crimes contre des personnes LGBTI. De plus, les actes humiliants, dégradants, et les viols sont plus courants lors de ces crimes.
Il est malgré tout important de noter que la situation s’améliore dans de très nombreux pays d’Amérique latine. En premier lieu, la société semble être de plus en plus ouverte sur ces questions et le nombre de personnes intolérantes semble baisser. Ainsi la chaîne de télévision CNN Espagne a mené une enquête sur la perception de l’homosexualité en Amérique latine. Selon cette chaîne, seulement 14 % des personnes interrogées reste très ou plutôt favorable à la criminalisation de l’homosexualité, et une infime minorité se sentirait un peu ou très mal à l’aise en sachant que son voisin est homosexuel. Toutefois, ces chiffres sont à considérer avec précaution, pour deux raisons : il ne s’agit pas d’une enquête statistique très poussée et ce «sondage» ne concerne que l’homosexualité et non les autres minorités sexuelles.
Un autre élément important est le rapide développement des initiatives législatives. Depuis 2010, les avancées se multiplient : dès 2009, l’Argentine a autorisé de facto le mariage homosexuel en considérant que le droit au mariage était un droit constitutionnel. Ce fut le premier pays latino-américain à ouvrir le mariage aux couples homosexuels, et le premier mariage gay latino-américain fut célébré à Ushuaïa le 28 décembre 2009. De la même manière, l’Union civile ou un statut proche existe au Brésil depuis 2004, en Colombie et dans les États de Mexico et de Coahuila (2007), en Argentine et en Uruguay (2008), en Équateur (2009)…
Outre le droit au mariage et/ou à l’union civile, l’adoption par les couples homosexuels, l’intégration dans l’armée ou la possibilité de changer de nom et de sexe pour les personnes transgenres se développent également : il est ainsi possible d’adopter en Uruguay (2009), en Argentine et au Brésil (2010), en Colombie (2015) et à Mexico (2010) par exemple. En France, l’adoption n’a été possible qu’avec la loi sur le mariage de 2013.
Certains pays ont fait partie de «l’avant-garde» sur ces questions dans les différentes institutions internationales. Ainsi, le Brésil a présenté la première déclaration sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2003. Ce pays, avec l’Argentine, a également fait partie du groupe de travail qui a permis l’adoption en 2009 de la «Déclaration relative aux droits de l’homme et à l’orientation sexuelle et l’identité de genre». En 2011, l’Afrique du Sud et la Colombie portent un projet visant à faire reconnaître les droits LGBT comme des droits humains. Le projet avorte, mais en 2014, le Chili, la Colombie et l’Uruguay réussissent à faire adopter un texte sur la protection des personnes LGBT contre les violences et les discriminations par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Ce leadership international s’accompagne également d’avancées importantes dans les législations des pays latino-américains, sur des sujets qui restent sensibles, y compris dans les sociétés occidentales. Avant même que la législation française ne permette librement le changement de sexe, plusieurs pays latino-américains autorisaient le changement d’identité librement ou sans recourir à de la chirurgie. Les premières lois autorisant le changement de sexe datent de 2006 au Panama. Aujourd’hui, la modification de l’état civil est possible dans la majorité des pays du continent.
Cela reste toutefois impossible au Venezuela, au Mexique (à l’exception du district de Mexico), au Suriname, au Salvador, au Paraguay, au Nicaragua, au Guyana, au Guatemala et au Costa Rica. Encore une fois, une géographie apparaît nettement. Les pays centraméricains sont en effet beaucoup plus rétifs à reconnaître aux communautés LGBTI leurs droits. Toutefois, les minorités sexuelles d’Amérique latine et des Caraïbes poursuivent la lutte pour obtenir une égalité en droit et en fait, et obtiennent des résultats. Espérons que cette dynamique se poursuive pour que bientôt l’orientation sexuelle ne soit plus une source d’inquiétude et de souffrance.
Rai BENNO
Depuis Santiago du Chili