Dans la salle du théâtre municipal de Valparaíso, le 17 août dernier, le public était jeune, et féminin. Les places vendues étaient assises, la fosse comptait de nombreuses rangées de fauteuils rouges du plus bel effet. Mais un concert de hip-hop s’écoute rarement assis. Dans la fosse ou aux galeries de ce théâtre art déco des années 1930, les gens se pressaient contre la scène. Ici, un seul agent de sécurité interdit l’accès à l’escalier qui mène à la scène.
Photo : Radiozero
Six musiciens pour accompagner celle qui est sans doute la rappeuse la plus connue et la plus appréciée du Chili. Anita Tijoux, née à Lille de parents exilés à la suite du coup d’État de 1973, est aujourd’hui la figure de proue du hip-hop chilien et latino-américain, ayant conquis les scènes du monde entier.
Après avoir chanté avec le groupe Makiza (quatre albums au compteur), elle se lance en solo en 2007 et a depuis sorti quatre albums de hip-hop, et s’est récemment lancée dans un nouveau projet, le chant de boléro au sein de Roja y Negro.
Son hip-hop enragé frappe et fait danser. Les cuivres sont tour à tour jazzy, rythmique comme en funk ou mélodique, le guitariste passe avec aisance (et en changeant de guitare) du solo de rock au boléro. Car il ne s’agit pas que de hip-hop : Anita Tijoux, dans sa combinaison old school, rend aussi hommage au poète Victor Jara et chante quelques boléros.
Dans ces moments-là, on oublie presque le rap. Sa voix est claire, chaude, juste, avec des envolées soul qui donne la chair de poule. Lorsqu’elle rappe et donne la priorité au rythme, Anita Tijoux ne grime pas sa voix, ne la force pas. Elle rappe, mais avec naturel, sans auto-tune.
Une vraie star, adulée par son public qui reprend en chœur ses textes. Et quels textes ! Antipatriarca, Partir de Cero, Shock, Somos Sur… Côte à côte, les générations se côtoient et chantent ensemble, en particulier les femmes qui se retrouvent dans les textes anti-patriarcal. Aucun doute, Anita les réunit.
Et quand elle prend enfin le foulard vert du mouvement pro-avortement que lui tendait une petite fille sur les épaules de sa mère, une clameur s’élève. Quelques mots pour se redonner courage dans ce combat difficile, puis, le foulard autour du cou, Anita continue. Un peu plus tard, une étudiante monte sur scène, donne un flyer à la chanteuse avant d´être reconduite dans la fosse par la sécurité. Anita Tijoux l’appelle «cariño» et lit le tract au public : une réunion aura lieu dans la dernière université occupée par les mouvements féministes. Avec Anita Tijoux, la politique n’est pas que dans les textes.
Rai BENNO
Depuis Valparaíso