Le 7 octobre prochain, les électeurs brésiliens devront voter pour choisir leur président de la République. Un deuxième tour éventuel sera organisé le 28 octobre. Les candidats ont déposé leurs dossiers le 15 septembre. Trois jours plus tard, le Tribunal supérieur électoral (TSE) a rendu publique la liste des candidatures enregistrées. Il faudra attendre le 17 septembre pour savoir si elles sont toutes recevables.
Photo : Portal O Estado
Actuellement, sont sur la piste de départ, par ordre alphabétique : Geraldo Alckmin, du parti PSDB, proche des milieux d’affaires de São Paulo ; Jair Bolsonaro, PSL, représentant de la droite sécuritaire et évangéliste ; Guillermo Boulos, PSOL, parti de gauche ; Cabo Daciolo, parti Patriote, extrême droite ; Álvaro Dias, Podemos, formation de droite ; Ciro Gomes, PDT, centre gauche ; Luiz Inácio Lula da Silva, candidat du PT ; Henrique Meirelles, MDB, droite ; Marina Silva, parti Rede, écologiste libérale ; Vera Lúcia, PSTU, gauche.
Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes électoral. En apparence, RAS, rien à signaler. Les dates du vote sont connues. Les candidats en piste représentent une gamme diversifiée de familles politiques. Les télévisions et radios ont commencé à organiser des débats entre candidats. La presse écrite et les médias ont ouvert leurs colonnes et leurs espaces parlés et imagés à ce grand rendez-vous.
Mais cette démocratie bien ordonnée ne serait-elle pas comme l’eau qui dort, en trompe l’œil. La présidente sortante, Dilma Rousseff, a été démise par une majorité parlementaire pour crime contre la Constitution. Pourtant, contrairement à ce que dit le texte fondamental, elle n’a pas été privée de ses droits civiques. Peut-être faut-il voir là un hommage du vice à la vertu. Dilma Rousseff n’a en effet commis aucun crime. Un président de fait a pris sa place, non élu, Michel Temer. Couleur de la présidente écartée, PT, parti des travailleurs. Couleur du chef de l’État issu d’un coup parlementaire, PMDB.
L’ex-président Lula a déposé sa candidature. Il caracole en tête des sondages. Mais Lula, condamné à douze ans de prison, est interdit de débat à la télévision. Fernando Haddad, son candidat à la vice-présidence, est lui aussi écarté des débats pour une lapalissade politico-électorale. Il est candidat à la vice-présidence et ne serait donc pas à sa place aux côtés des têtes de liste. Suppléant sur le ticket, Haddad ne peut l’être sur les plateaux de télévision. Couleur politique de Lula et de Haddad, PT, parti des travailleurs.
Les médias brésiliens, ceux qui comptent, se sont indignés. Comment un condamné pour corruption, comprenez Lula, peut-il oser présenter sa candidature. Comment le PT peut-il sans honte soutenir un tel homme et organiser une manifestation militante devant le TSE ? Les médias ont donc choisi de faire l’impasse sur l’évènement. Et avec la complicité active des candidats de droite et d’extrême droite de parler le moins possible de Lula.
Lula, en dépit de tout, tient la corde populaire. Victime d’une cabale judiciaire, il a été condamné sans preuves. Il aurait reçu en cadeau d’une entreprise de BTP, appelée OAS, un appartement, un triplex. Cet appartement n’a jamais été à lui. Il n’y a jamais habité. Alors ? Alors il y a la conviction du juge. Une présomption de culpabilité qui a surpris un grand nombre de juristes et de responsables politiques, européens, américains, du Nord comme du Sud, ayant côtoyé Lula.
Lula, il est vrai, Dilma et le PT, étaient devenus insupportables aux élites brésiliennes. Le rattrapage social réussi auquel ils avaient procédé devenait inadmissible financièrement et culturellement. Il fallait siffler la fin de la récréation. Mais faute de pouvoir procéder à un coup militaire à l’ancienne, il convenait de maquiller emprisonnements et destitution.
La corruption sélective a été habillée par les médias et validée par des magistrats complaisants. Les jeux sont faits. Au nom de la vertu républicaine, la mise a été ramassée par les élites traditionnelles. L’État a bloqué son budget au niveau actuel pour les vingt prochaines années. Il a privatisé les fleurons de l’économie, l’avionneur Embraer et bientôt Electrobras, les aéroports. Les champs pétroliers en mer qui devaient alimenter le financement de l’éducation et de la santé ont été ouverts aux transnationales du secteur.
La faim a fait sa réapparition. L’Unicef a signalé que six millions de familles vivaient en dessous du seuil de pauvreté. 61% des enfants et adolescents, toujours selon l’Unicef, vivent dans la pauvreté. La mortalité maternelle a fait un bond en arrière depuis 2016. Le chômage est reparti à la hausse. Trois millions de Brésiliens sont en recherche d’emplois depuis deux ans. Et tout cela, toute cette cure d’austérité, pourquoi ? La Banque centrale brésilienne a publié les chiffres de la croissance des premiers mois de 2018 : = 0,99%.
Pour qui, en tous les cas, on commence à le deviner. Les magistrats brésiliens, chevaliers blancs de la lutte anti-corruption, en ces temps de vaches maigres pour la majorité de leurs compatriotes, – voir l’UNICEF –, n’empochent d’étonnantes prébendes. Selon le quotidien Folha de S. Paulo, ils auraient bénéficié globalement d’une hausse de revenus de 7,2% au premier semestre 2018. Les juges du Tribunal supérieur ont publiquement fait savoir qu’ils attendaient pour 2019 une réévaluation de leurs émoluments de 16,38%. Le salaire mensuel actuel d’un juge du Tribunal supérieur est de 33 700 Reais, soit environ 8 000 euros. Le Brésil et ses juges auraient-ils donc bénéficié d’un changement climatique porteur de ces épices tant prisés de leurs lointains prédécesseurs d’ancien régime ?
Jean-Jacques KOULIANDSKY
Depuis Curitiba