L’Amazonie fait rêver, ceux qui n’y vivent pas davantage que ceux qui l’habitent. Les conditions de vie, le climat, les distances, au quotidien, font oublier le lieu. Pourtant, il y a des gens qui s’y sentent bien, qui y ont grandi, ont connu leurs premières émotions, celles qu’on n’oublie pas et qu’on peut faire partager, si on en a le talent. C’est le cas de Milton Hatoum qui n’a jamais quitté durablement Manaus, sa ville natale, et qui en parle avec un amour impartial et des mots remplis de couleurs et d’émotions.
Photo : Antonio Brasiliano/Actes Sud
Il n’est pas obligatoirement nécessaire de s’éloigner d’un lieu pour voyager dans le monde. C’est ce que fait Milton Hatoum, ce que font plusieurs de ses personnages, c’est aussi ce qu’il fait brillamment faire à ses lecteurs. Dans presque chacune des quatorze nouvelles qui forment le recueil, on se trouve à Manaus, sa ville, la ville au milieu des eaux du titre ; une ville immobile, isolée au cœur de la forêt amazonienne, qui pendant des siècles n’a été reliée au reste du monde que par les bateaux qui remontaient l’Amazone. Une ville donc repliée sur elle-même, mais dont l’isolement l’a toujours poussée à tenter, difficilement, de communiquer avec le pays et le monde.
Le monument mythique de Manaus, le théâtre Amazonas, avec son architecture italienne, en est le symbole, et reçut les plus grandes vedettes européennes qui, depuis la fin du XIXe siècle, n’auraient pas imaginé une tournée américaine sans ce détour de plusieurs semaines à cette époque.
Le théâtre Amazonas apparaît dans plusieurs textes de Milton Hatoum, dont la plupart ont Manaus pour cadre. Mais l’unité de lieu n’est pas de mise. On y parle, directement ou non, de San Francisco, de Paris, de Bombay et de bien d’autres lieux dans de brefs textes pleins d’humanité : émois adolescents, espoirs de jeunesse parfois déçus, rivalités amoureuses et, très souvent, la présence de l’art, de la création, visuelle ou artistique.
Le dépaysement est là, forcément, pour un lecteur européen (et certainement aussi pour un Brésilien de São Paulo ou de Rio), immobile mais tangible, à l’image de ce M. Delatour, un Breton qui, ayant «découvert» enfant l’Amazonie dans son village du Finistère en se penchant pendant des jours et des semaines sur une carte, a fini par s’installer à Manaus.
Pour nous, c’est la même chose : sans bouger de notre fauteuil, La Ville au milieu des eaux sous nos yeux, Manaus devient nôtre, Milton Hatoum est devenu notre ami, comme son oncle Ranulfo, sa ville est devenue la nôtre, son plaisir d’écrire s’est fondu dans notre plaisir de lire. Un régal !
En librairie le 5 septembre.
Christian ROINAT
La Ville au milieu des eaux de Milton Hatoum, traduit du portugais (Brésil) par Michel Riaudel, éd. Actes Sud, 160 p., 17 €.
Milton Hatoum en portugais : Relato de um certo Oriente / Dois irmãos / Orfãos do Eldorado / A cidade ilhada /A noite da espera, ed. Cia das Letras, São Paulo.
Milton Hatoum en français : Récit d’un certain Orient / Deux frères / Sur les ailes du condor, Le Seuil / Cendres d’Amazonie / Orphelins de l’Eldorado, Actes Sud.
Né en 1952 à Manaus dans une famille libanaise, Milton Hatoum a enseigné la littérature à Berkeley, en Californie, puis à l’université fédérale de l’Amazonas, et traduit vers le portugais Flaubert, Marcel Schwob et Edward W. Said. Il est l’auteur de quatre romans (dont les trois premiers ont été récompensés au Brésil par le prestigieux prix Jabuti) : Récit d’un certain Orient (Seuil, 1993), Deux frères (Seuil, 2003), et chez Actes Sud Cendres d’Amazonie (2008) et Orphelins de l’Eldorado (2010). Son œuvre est publiée dans une douzaine de langues.