Pizarro, Atahuallpa, le dernier empereur inca, la conquête éclair du Cuzco et de l’immense empire : l’histoire comme les personnages sont bien connus, du moins le croit-on. Gilbert Vaudey ne prétend pas avancer des découvertes sensationnelles ni révolutionner les connaissances acquises. Son nouvel ouvrage, qui n’est pas, nous dit-il, d’un américaniste mais simplement d’un passionné, apporte pourtant des points de vue tout à fait dignes d’intérêt.
Photo : Fête du livre de Bron
Après avoir brièvement restitué les derniers jours de la prise du pouvoir par Pizarro, l’auteur s’intéresse à ce que l’on sait de la personnalité d’Atahuallpa. Il le fait avec une modestie rare. Combien d’historiens patentés annoncent des exclusivités retentissantes qui ne se vérifient pas toujours ou qui sont démenties quelques années plus tard ? Ici, il se passe le contraire, à aucun moment il ne cache les lacunes des documents d’époque qu’il a soigneusement consultés et, lorsqu’il propose une théorie, il insiste sur l’inévitable subjectivité. Or, subjectivité ne veut pas dire automatiquement erreur !
Un des leitmotivs du livre est la volonté de remettre les faits dans un contexte de l’époque, de tâcher de laisser de côté la déformation, elle aussi inévitable pour les historiens, provoquée par une vision distante de plusieurs siècles. Par exemple, la cruauté avérée de certaines pratiques était-elle l’apanage des Incas ? Que se passait-il presque en même temps à la Cour papale ou à Florence ?
Il semble en revanche qu’il existe des «lois naturelles» qui touchent au pouvoir et à son utilisation politique, la première étant la soif de puissance qui domine certains êtres humains. Gilbert Vaudey tente dans son analyse de garder l’équilibre entre cette aspiration personnelle («j’ai besoin de conquérir un pouvoir absolu et, quand je l’ai, je ferai tout pour le conserver») et les conditions propres aux peuples d’Amérique latine, différentes des nôtres. Il réussit son projet, adopte ce recul nouveau malgré les nombreuses études existantes. Cela ne l’empêche pas, à d’autres moments, de faire preuve d’objectivité, par exemple quand il remet la puissance de l’Empire inca à son juste niveau, bien au-dessous de l’Empire aztèque de la même époque, ou de l’Empire maya des temps passés.
Le dernier chapitre, qui nous fait sortir de l’histoire à proprement parler, ne manque ni d’originalité, ni d’intérêt, sur l’exploitation dans divers domaines de la création, de la rencontre entre Pizarro et Atahuallpa. Sont cités et commentés le fameux air extrait des Indes galantes de Rameau ou un roman de Marmontel, pas des plus connus, mais qui joue avec la réalité historique pour la mettre à la mode de l’époque des Lumières, ou encore l’inévitable Inca Garcilaso, noble dans ses deux ascendances, indienne et espagnole, chez lequel il n’est plus du tout question d’objectivité, mais, et cela s’applique aussi à Gilbert Vaudey, de résurgences contemporaines d’un passé révolu.
Objectivité, subjectivité… Au fond, ces mots ont-ils un sens si ce qui domine indéniablement, c’est l’honnêteté ?
Christian ROINAT
Vie et mort de l’Inca Atahuallpa de Gilbert Vaudey, éd. Christian Bourgois, 176 p., 12 €.