Dimanche dernier, la Colombie a vécu sa première élection présidentielle depuis la signature de la paix en 2016 qui a permis de mettre fin à un demi-siècle d’affrontements avec l’ancienne guérilla marxiste Farc. Iván Duque a été élu nouveau président de la République colombienne pour cinq ans.
Photo : La Semana
Le président élu, candidat du Centre démocratique, avait précisé pendant la campagne qu’il ne voulait pas réduire en miettes l’accord avec les Farc, mais qu’il était nécessaire de lui apporter certaines modifications. Car pour Iván Duque, poulain de l’ancien président Álvaro Uribe, si l’accord de paix a partiellement atteint son but, des corrections sont prêtes à être apportées à cet accord, dont l’un des axes était de permettre aux ex-guérilleros de déposer leurs armes et de se reconvertir dans la vie politique. Ainsi l’ex-FARC (acronyme des Forces armées révolutionnaires de Colombie) est devenu, en août dernier, le nom du nouveau parti FARC (Force alternative révolutionnaire du commun).
En ce qui concerne les corrections à apporter à l’accord de paix signé par son prédécesseur Juan Manuel Santos –un accord qui lui a valu le prix Nobel de la paix–, le détail des modifications prévues n’est pas connu. Cependant, pendant sa campagne, Iván Duque s’en était pris à certains ex-chefs de la guérilla dont il avait dit vouloir envoyer en prison ceux coupables de crimes graves. Le nouveau président de la droite dure avait aussi promis de leur interdire de siéger au Parlement.
Après l’annonce des «corrections» à apporter à l’accord, le FARC n’est pas resté muet et a appelé le président nouvellement élu de faire preuve de bon sens. «Ce que demande le pays, c’est une paix intégrale qui nous mène vers la réconciliation», a affirmé la formation avant d’ajouter que «contourner cet objectif ne peut être un programme de gouvernement». Mais pour Iván Duque, ces corrections auront pour but de placer les nombreuses victimes au centre du processus pour leur garantir vérité, justice et réparations.
En effet, la guerre sans merci déclarée à la guérilla par l’ancien président Álvaro Uribe n’a pas épargné les civils : arrestations, contrôle du transport des aliments, restriction des ventes de médicaments étaient devenus monnaie courante en 2005. Pour ne donner qu’un exemple des exactions commises, rappelons que les groupes paramilitaires d’extrême droite débarquèrent, en 1998, dans la région de San Onofre, un gros bourg du nord de la Colombie, sous prétexte d’en finir avec la guérilla d’extrême gauche. Par la suite, on a retrouvé des fosses communes qui témoignent de l’horreur : en un mois, plus de quarante corps ont été exhumés, le crâne parfois défoncé ou les membres arrachés. «Et nous craignons de trouver d’autres corps», avait indiqué à l’époque le procureur de la République, Luis Carlos Osorio. Cela sur un fond de trafic de drogue, selon le témoignage d’Álvaro, un professeur de la région : «les paramilitaires ont massacré des dizaines de civils, paysans et villageois. Et sous prétexte de financer leur guerre, ces hommes sont devenus des narcotrafiquants.» Ainsi, depuis un demi-siècle de lutte contre la guérilla, on estime au moins qu’il y a eu 8 millions de victimes entre les morts, les disparus et les déplacés.
Après le scrutin, le FARC, qui ne ferme pas la porte à des discussions avec le nouveau pouvoir, a demandé à rencontrer Iván Duque. Si à première vue la pacification du pays est en cours, le conflit armé est toutefois loin d’être terminé, comme le rappelle le chercheur Yann Basset, de l’université El Rosario de Bogotá : «Aujourd’hui, le conflit n’a pas vraiment disparu en Colombie, mail il a été relégué un petit peu aux marges, aux zones les plus éloignées du centre du pays, sur la côte Pacifique notamment, ou dans le sud du pays, ou à la frontière vénézuelienne. Il a même pu prendre des proportions un peu plus importantes, puisque les problématiques qui affectaient des zones importantes du pays comme le trafic de drogue s’est déplacé vers ces zones-là et des groupes armés subsistent ou se réorganisent. Donc il y a toujours des opérations militaires et c’est une des principales préoccupations pour l’avenir.»
On peut conclure donc que l’insécurité est toujours palpable, notamment en zone rurale. «C’est encore pire qu’avant, rappelle Christoph Harnischn, parce que les point de repère ont complètement changé.» Le directeur du Comité international de la Croix-Rouge en Colombie demande de la part du nouveau gouvernement une «politique de sécurisation beaucoup plus décidée… L’État, seul, peut jouer ce rôle. Et c’est malheureusement quelque chose qui se fait très lentement.»
Eduardo UGOLINI
Juriste de profession, Iván Duque, membre du Centre démocratique et proche du président Álvaro Uribe, a été sénateur de 2014 à 2018. Le 11 mars 2018, il remporte la primaire de droite (Grande consultation pour la Colombie) en vue de l’élection présidentielle, obtenant 67,8% face à Marta Lucía Ramírez et Alejandro Ordonez. Pendant la campagne présidentielle, il reçoit l’appui explicite des milieux d’affaires colombiens. Il est également soutenu par les anciens présidents Álvaro Uribe, Andrés Pastrana et César Gaviria. Après être arrivé en tête du premier tour, il est élu au second, le 17 juin, avec 54% des voix contre 41,8% pour le candidat de gauche, Gustavo Petro.