Les camionneurs brésiliens sont en colère et le font savoir. En raison de la hausse du prix du diesel, ils ont immobilisé le pays durant ces dix derniers jours. Avec cette grève historique, ils ont provoqué une crise politique jusqu’au sommet de l’État. Ces tensions illustrent les symptômes d’une société brésilienne en proie à des aspirations contradictoires.
Photo : El Observador
La hausse du prix du diesel de +50% par rapport à 2017 a fini par faire exploser la grogne des camionneurs brésiliens. À partir du 21 mai dernier, ils ont bloqué les routes pendant dix jours, coupant l’approvisionnement en carburant et en produits de consommation dans les supermarchés. Cette grève massive a ainsi provoqué rapidement des pénuries d’essence dans les stations et contraint les aéroports à annuler des vols.
Cette hausse s’explique par le changement de calcul des prix du diesel par la compagnie publique pétrolière brésilienne, la Petrobras. Son président, Pedro Parente, arrivé à sa tête en 2016 pour redresser le groupe criblé de dettes et changer l’image de la société associée aux scandales de corruption, a souhaité transformer radicalement la politique tarifaire du groupe. Il a en particulier modifié le calcul des prix en l’indexant au jour le jour sur les évolutions du marché mondial et du dollar, alors que les prix étaient auparavant subventionnés par l’État et moyennés pour limiter les fluctuations. Cette mesure s’est certes avérée efficace du point de vue de la Petrobras qui a affiché de nets profits au premier trimestre, mais elle a eu des répercussions directes sur l’ensemble de l’économie brésilienne. Le dollar et les prix du pétrole se sont en effet envolés ces derniers mois, mettant en difficulté le secteur du transport dans un pays déjà en difficulté économique et où 61% des marchandises transitent par la route.
Le bras de fer engagé par les camionneurs, rejoints ensuite par les travailleurs du secteur pétrolier, a contraint le président Michel Temer à employer la méthode forte pour débloquer la situation en demandant l’intervention de l’armée pour dégager les routes. Le mouvement ne s’est pas pour autant arrêté et Pedro Parente a finalement donné sa démission, faisant plonger de 15% le cours de la Petrobras le 2 juin dernier. Le mouvement, soutenu presque unanimement par les Brésiliens –87% de la population d’après un sondage de Datafolha– a poussé à bout le gouvernement qui a accepté presque toutes les revendications des camionneurs, en réduisant par exemple le prix du diesel de 10% et en le gelant pendant une durée de trente jours.
Cet épisode met en lumière la fragilité du gouvernement de Michel Temer. Très impopulaire, celui-ci a dû renoncer à se présenter à l’élection présidentielle qui aura lieu en octobre 2018, à la suite de nombreux scandales de corruption qui ont discrédité l’image des politiques aux yeux des Brésiliens.
Lors des récentes manifestations, les discours des groupes radicaux se sont durcis et ont appelé de façon inquiétante à l’intervention de l’armée pour chasser Michel Temer et son gouvernement, rappelant tristement la situation précédant le coup d’État de 1964 par les militaires. L’exaspération générale est fortement alimentée par la rhétorique d’extrême droite du candidat Jair Bolsonaro, dont la popularité ne cesse d’augmenter. Il est en effet en deuxième position dans les sondages d’intention de vote pour l’élection présidentielle d’octobre 2018, derrière Luiz Inácio Lula da Silva alors que celui-ci est en prison et a priori inéligible.
Cette tension économique, sociale et politique place les Brésiliens dans une situation paradoxale. Unis par leur détestation de Michel Temer, ils sont capables de se mobiliser massivement et d’exercer ce qui s’apparente aux droits démocratiques : liberté d’opinion, d’expression et de manifestation. Ils obtiennent même gain de cause face à un gouvernement affaibli, le tout sans violence ni répression. Mais dans le même temps, les appels au retour de la dictature de plus en plus fréquents sont particulièrement inquiétants. La société brésilienne a son destin entre ses mains et quatre mois de réflexion avant de choisir pour qui voter.
Gabriel VALLEJO