Depuis le 18 avril, plus de 100 morts et des milliers de blessés sont recensés au Nicaragua, et la colère d’une partie de la population, qui exige le départ du président Daniel Ortega, ne retombe pas. Le dialogue est gelé. Et ce malgré de frêles tentatives de reprise des discussions entre les manifestants et le gouvernement, pour un temps soutenues par le Vatican. Les évêques, qui ont endossé le rôle de médiateurs à la demande du gouvernement depuis le début de la crise le 18 avril, ont suspendu le dialogue national pour une durée indéterminée, après des heures de réunions infructueuses.
Photo : Mobilisation dans les rues de Managua/Noticiero OTV
Daniel Ortega, l’ex-guérillero de 72 ans, héros de la révolution sandiniste pour avoir renversé la dictature en 1979, avait gouverné le pays jusqu’en 1990, avant de revenir au pouvoir en 2007. L’étincelle qui a déclenché le courroux populaire est une réforme des retraites augmentant les cotisations, mais bien qu’Ortega ait renoncé à son plan de réforme des pensions, le peuple nicaraguayen n’a pas cessé de se mobiliser pour dénoncer le manque de libertés et réclamer le départ du chef de l’État. Dans un climat de rage et de saccage, les émeutes populaires sont férocement réprimées par la police et s’achèvent dans un bain de sang.
La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a pu documenter et recueillir «des centaines de témoignages qui prouvent de graves violations des droits de l’Homme et ne caractérisent pas un usage excessif de la force de la part des corps de sécurité de l’État et également de tierces parties armées», selon un rapport lu en conférence de presse le lundi 21 mai par la rapporteuse de l’organe de l’Organisation des États américains (OEA) Antonia Urrejola. Contre les manifestants, «les unités anti-émeutes ont utilisé sans discernement des armes à feu, des pistolets à balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes». Les personnes placées en détention «ont fait état de coups, d’insultes ou de privation de nourriture. Des forces de police et des groupes motorisés ont ouvert le feu et incendié en avril un bâtiment de l’Université d’ingénierie, tuant plusieurs étudiants». La commission d’enquête –dont la mission s’est déroulée du 17 au 21 mai– a aussi qualifié d’«inadmissible» la censure de quatre chaînes de télévision, le blocage de médias sur internet, l’assassinat du journaliste Ángel Gahona et l’incendie d’une radio d’opposition.
Les chefs d’entreprises ont exprimé leur solidarité «verbalement» aux manifestations anti-gouvernement, déclenchées par les étudiants le 18 avril. Mais ils n’ont pas voulu se joindre au récent mouvement de grève nationale, alors qu’ils l’avaient fait lors de l’insurrection contre la dictature des Somoza (1934-1979). Ils sont «divisés» entre ceux qui veulent maintenir Ortega au pouvoir jusqu’à l’élection présidentielle de 2021 et ceux qui souhaitent son départ anticipé, assure l’un des leaders étudiants du mouvement de protestation, Victor Cuadras. Pour Oscar René Vargas, sociologue et économiste, les États-Unis, principal partenaire commercial du Nicaragua, n’ont pas adopté de mesures de pression suffisamment fortes pour faire vaciller le gouvernement.
Alors que les opposants demandent que les élections présidentielles prévues en 2021 soient avancées à cette année, le gouvernement dénonce «une voie déguisée» vers un coup d’État. Le 22 avril, le pape avait associé sa «voix à celle des évêques pour demander que cesse toute violence, qu’on évite une effusion inutile de sang et que les questions ouvertes soient résolues pacifiquement». Quant au secrétaire général de l’OEA, il avait affirmé que la solution à la crise au Nicaragua devait passer par des élections anticipées. «Quand la société est divisée, la décision doit revenir de manière urgente au souverain : le peuple», avait déclaré Luis Almagro.
«Daniel doit partir !»
C’est la demande de milliers de paysans et d’étudiants qui se mobilisent dans les rues de Managua et de tout le Nicaragua depuis fin avril. Pour les étudiants et une grande partie de la population, il n’est plus question de dialogue, qui ne serait qu’une manœuvre pour démobiliser et chercher un nouveau pacte avec Ortega ou un remplaçant, afin de le sauver de ses crimes et maintenir un Nicaragua au service des capitalistes. Il faut donc poursuivre la mobilisation révolutionnaire populaire, en reniant le dialogue tricheur, jusqu’à ce que les patrons et le régime répressif d’Ortega soient renversés, pour obtenir un gouvernement des opprimés, de la classe ouvrière, des paysans et des jeunes.
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a condamné le 1er juin les récentes violences survenues au Nicaragua, notamment le meurtre d’un ressortissant américain lors de manifestations à Managua le 30 mai. Le secrétaire général de l’ONU a appelé le gouvernement nicaraguayen à répondre favorablement aux demandes du Bureau du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme de se rendre dans le pays. Dans sa déclaration, il indique que l’ONU est prête à aider les efforts de dialogue national en vue de renforcer l’État de droit, le respect des droits de l’homme et la résolution pacifique des différends.
Au Nicaragua, les forces de l’ordre «tirent pour tuer». C’est avec ce slogan que l’ONG Amnesty International a de nouveau dénoncé les méthodes du gouvernement de Daniel Ortega pour réprimer les manifestations qui secouent le pays depuis la mi-avril. Amnesty a constaté sur place un «recours excessif à la force et l’ONG accuse les autorités d’avoir procédé à des « exécutions extrajudiciaires »» par le biais de milices privées.
José Pallais, ancien vice-ministre des Affaires étrangères
José Pallais, ancien vice-ministre des Affaires étrangères et ex-député de l’opposition, estime que Daniel Ortega «ne veut pas mettre son pouvoir en danger» et que les manifestants ne sont pas prêts à déserter les rues, sinon «la dictature se renforcerait, la répression deviendrait plus forte, et il y aurait toute une campagne de violence sélective», explique-t-il à l’AFP. La crise «va être longue». De fait, Ortega refuse de partir et semble décidé à se maintenir au pouvoir, jusqu’à ce que la situation soit impossible à tenir. Le 30 mai dernier, il a déclaré devant la foule lors d’un vaste rassemblement convoqué dans le nord de Managua, la capitale nicaraguayenne : «le Nicaragua nous appartient à nous tous et nous restons tous ici.» Au lourd bilan humain des manifestations s’ajoute l’impact sur l’économie des grèves, pillages de commerces et blocages de routes : le gouvernement a réduit sa prévision de croissance de 4,7-5,2 % à 3-3,5 %. Les touristes ont fui le pays. Quant au Quai d’Orsay, il appelle les Français à reporter les voyages non essentiels. Il apparaît clairement que la stratégie de répression de Daniel Ortega ne dissuade pas tout un pays, désormais debout contre son président, malgré les meurtres quasi quotidiens perpétrés par les autorités.
Catherine TRAULLÉ
Crise au Nicaragua :
le groupe d’amitié France – Mexique et pays d’Amérique centrale réitère son appel au dialogue
Depuis la mi-avril, le Nicaragua est secoué par une vague de contestation populaire sans précédent qui a provoqué le décès de plus de 120 personnes et en a blessé 1 300 autres, selon le rapport établi par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme et le dernier bilan des organisations non gouvernementales. Les manifestants dénoncent une confiscation du pouvoir par le Gouvernement du Président Daniel Ortega, ex-leader de la révolution sandiniste. Au nom du groupe interparlementaire d’amitié France – Mexique et pays d’Amérique centrale dont une délégation s’est rendue au Nicaragua lorsqu’ont débuté les manifestations, MM. les Sénateurs Daniel Laurent (Les Républicains – Charente-Maritime), Président du groupe, et Claude Raynal (Socialiste et Républicain – Haute-Garonne), Président délégué pour l’Amérique centrale, expriment leur vive préoccupation et font part de leur émotion aux familles et proches des victimes en les assurant de leur soutien dans cette épreuve. Condamnant toute forme de violence, le groupe d’amitié appelle une nouvelle fois le Gouvernement du Nicaragua, comme il l’a fait à l’occasion des entretiens réalisés sur place, à poursuivre un dialogue transparent, ouvert et inclusif avec l’ensemble des parties prenantes pour trouver une issue pacifique à cette crise.
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