On ne cesse de nous répéter que la nouvelle n’est pas (n’est plus) «porteuse» en France. Nous qui tentons de jouer notre rôle de passeurs, d’intermédiaires entre éditeurs et lecteurs, nous doutons de l’exactitude du propos : que la nouvelle se vende moins que le roman, c’est très probable. Mais qu’elle n’ait pas d’amateurs est une idée entièrement fausse, il suffit d’écouter les personnes qui assistent à nos rencontres des Belles latinas et qui régulièrement nous font part de leur frustration de ne pas en avoir plus à leur disposition. Alors merci aux éditions Buchet-Chastel qui, ce mois-ci, nous font découvrir une jeune auteure bolivienne et son premier ouvrage traduit en français.
Photo : Lourdes Plata
Liliana Colanzi, née en 1981, vit aux États-Unis où elle enseigne dans une université. Elle fait partie d’une génération de jeunes femmes qui partagent un même état d’esprit, une même conception de la littérature. Originalité et exigence sont probablement les mots qui les définissent le mieux. Elles redoutent la banalité plus que tout et demandent à leurs lecteurs d’accepter de les suivre, faute de quoi ils seront largués. Parmi les représentantes de ce qui deviendra peut-être un courant littéraire, on peut citer Samanta Schweblin, Valeria Luiselli, Lina Meruane et, bien sûr, Liliana Colanzi.
Ces huit nouvelles ont de quoi surprendre, d’abord par leur variété, qui va d’un presque classicisme («Météorite»), d’un presque fantastique («L’œil»), d’une presque science-fiction («Notre monde mort») au presque récit d’horreur («Alfredito»), ces presque s’imposant pour chacune, car elles sont toutes ancrées dans un réel entièrement quotidien.
Subtilement, Liliana Colanzi sort du quotidien pour nous plonger… dans le littéraire. Pourtant ce qu’elle écrit n’est pas franchement élitiste, exigeant mais pas élitiste. Cela ne l’empêche pas par exemple d’aborder des thèmes de société, comme l’expulsion violente d’Indiens pour installer sur leurs terres des plateformes pétrolières.
Si l’on attend des récits «raisonnables», on sera désorienté, frustré, avec l’impression qu’une lecture ne suffit pas pour absorber tout ce qui est offert par l’auteure (mais est-ce «raisonnable» d’attendre de la littérature du «raisonnable» ?). Si l’on veut bien accepter ce qui nous est ainsi proposé, si l’on veut bien accepter de découvrir une voix nouvelle, prometteuse, il faut se lancer, on ne pourra qu’y gagner !
Christian ROINAT
Notre monde mort de Liliana Colanzi, traduit de l’espagnol (Bolivie) par Juliette Barbara, Buchet-Chastel, 128 p., 13 €. Liliana Colanzi en espagnol : Nuestro mundo muerto, Eterna Cadencia, 2017.