Le 14 mars dernier, à Rio de Janeiro, Marielle Franco rentrait d’un rassemblement pour le droit des femmes noires. C’est d’une Chevrolet, occupée par quatre personnes, que l’on a ouvert le feu contre la voiture de l’activiste. Marielle Franco, ainsi que le conducteur de la voiture, Anderson Pedro Gomes, ont été assassinés.
Photo : Regeneración
Selon des informations du journal brésilien O Globo, un ancien membre de la police militaire (qui n’était pas témoin oculaire de la fusillade) a dénoncé deux suspects : Marcello Siciliano, conseiller municipal du Partido Humanista Solidaridad, et Orlando Oliveira de Araujo, ancien membre de la police militaire. Il se trouve que ce dernier est actuellement en prison, accusé d’être le leader d’un groupe paramilitaire et d’être à l’origine d’un autre assassinat.
Le témoin a confirmé les dates et endroits où des réunions de ces deux suspects se seraient tenues depuis juin 2017. Tous les deux maintiendraient des affaires communes dans l’ouest de Rio de Janeiro. Ce témoin évoque aussi des conversations au cours desquelles les deux suspects auraient montré leur rejet de Marielle Franco. Ils exprimaient par ailleurs les raisons pour lesquelles l’activiste devenait à leurs yeux une menace pour leurs intérêts.
Face à ces accusations, les deux prévenus se sont déclarés innocents. L’ancien policier a écrit une lettre depuis la prison. Dans cette missive, il nie tout lien avec ce crime et toute relation avec l’activiste. Marcello Siciliano s’est exprimé à son tour lors d’une conférence de presse. Il a expliqué que Marielle et lui entretenaient des relations amicales, et qu’ils envisageaient de travailler ensemble dans certains projets.
Le 13 mai, pour la reconstitution des faits, quatre témoins ont été convoqués, selon le journal El diario. Il semble que l’on connaît déjà l’arme utilisée : une carabine MP5, avec silencieux. Il semble également que cette arme appartienne aux groupes d’élite de la police brésilienne fédérale, militaire et civile, et que la munition 9 mm fait partie d’un lot acheté par la police fédérale.
Cela fait très longtemps que la violence règne au Brésil. Le président brésilien, Michel Temer, maintient la présence des armes dans les rues de Rio, présence paradoxalement justifiée sous prétexte de maintenir l’ordre. Marielle faisait récemment partie d’une commission ayant pour but d’enquêter sur l’activité de l’armée et de continuer à dénoncer ses excès (voir le 10 mars, date où elle s’est manifestée contre l’opération militaire en cours dans la favela Acari). Est-ce son engagement contre la violence qui l’a condamnée et qui a conduit à son assassinat ?
Au moment de son assassinat le 14 mars dernier, nous avions déjà mentionné la force de cette femme. Marielle Franco, 38 ans, était née dans la favela de Maré. Sociologue, noire, lesbienne et féministe, elle était une vraie militante pour les droits humains et n’avait eu de cesse de s’exprimer contre la violence paramilitaire, institutionnelle, des bandes criminelles, sociale, etc.
Le Brésil a été dénoncé par l’ONU pour l’occupation militaire ; Amnesty International a, de son côté, lancé une pétition sur son site web pour protester contre la mort de Marielle Franco. Il semble clair qu’une personne comme Marielle ne pouvait pas plaire pas à tout le monde. Il suffit pour le comprendre, de considérer sa position claire et nette contre le racisme, opposée au discours de haine de l’extrême droite (comme celui de Bolsonaro) ainsi que son activisme contre les attaques homophobes dans un pays atteignant des chiffres records d’homicides de personnes LGBT. D’après l’ONG Grupo Gay da Bahia, en 2016, 343 personnes ont été assassinées pour des motifs d’identité sexuelle (comme Matheus Melo de Castro, assassiné quelques jours seulement avant Marielle Franco). Ces chiffres font du Brésil le deuxième pays du monde où les crimes motivés par l’identité sexuelle sont les plus fréquents.
Pourtant, Marielle ne s’est pas contentée de montrer son positionnement contre les injustices. Elle a mis en place tout un travail positif pour l’amélioration des choses lors de sa carrière politique, comme le prouvent les seize propositions de loi présentées en tant que conseillère municipale ; ce travail fait d’elle d’elle l’une des personnes les plus actives de cette institution carioca.
Le 27 mars dernier, une session consacrée à l’éducation dans les dix ans à venir était prévue à la Chambre Municipale de Rio, session à laquelle Marielle devait participer et avait déjà préparé son discours pour le débat avec ses collaborateurs. Fait inédit, ses paroles ont pu être prononcées malgré son absence :
«C’est à l’école où l’espace public que nous voulons doit émerger. Là où il faut absolument parler de l’égalité de genre ! Où il faut parler de la sexualité, du respect, de la laïcité, du racisme, de la LGBT-phobie, du machisme. Parce qu’en évoquant ces sujets, on s’engage dans ces luttes à vie et dans ses diverses manifestations. Et, en plus, on s’engage dans le combat contre la violence et l’inégalité.»
Il se peut qu’un jour, l’enquête réussisse à trouver des coupables. Peut-être, les vrais coupables. Il semble pourtant que Marielle ait réussi à donner un sens à sa lutte au-delà de son tragique assassinat : c’est la lutte pour les causes les plus justes qu’elle incarnait.
Mario PÉREZ MORALES