Le dernier roman noir traduit en français d’Ernesto Mallo (qui a participé au festival Belles Latinas en 2009) nous offre une plongée dans l’Argentine des années soixante-dix, juste avant le coup d’État des militaires. On y côtoie les milices d’extrême droite de la triple A et leurs méthodes de voyous, un policier intègre aidé d’un légiste et d’une jeune traductrice : ils veulent la vérité sur la mort d’un vieil Allemand. Tout ceci nous entraîne dans de palpitantes scènes d’action et une belle histoire d’amour tragique.
Photo : Diario Público/éd. Rivages
Roman noir, oui ! Tout est sombre, oppressant, la ville de Buenos Aires a peur, les gens se terrent, les rues se vident à la nuit tombée, on se réfugie devant la télévision. Des policiers armés jusqu’aux dents sillonnent la ville à bord de leur Falcon, tuent, montent des opérations punitives contre les étudiants, arrêtent et torturent dans des entrepôts clandestins. Parmi les opposants, certains résistent, préparent des attentats, les réussissent ; ce qui déchaîne davantage colère et violence vengeresse.
L’écriture est très cinématographique. Par petites séquences, on suit les actions des uns et des autres, l’auteur désigne par leurs patronymes les policiers, les commissaires, les « terroristes », rendant l’ensemble très réaliste et très vivant. Le style est haché, nerveux, très percutant, et le rythme donné s’avère très efficace.
Apparaissent aussi des personnages attachants dont Lascano, le policier intègre qui agace ses chefs et ses collègues moins scrupuleux, et le légiste Fuseli qui traque la vérité. Et Lascano rencontre Marisa, une jeune juive traductrice qui va l’aider dans son enquête.
Et heureusement, il y a la belle histoire d’amour qu’elle vit avec Lascano, des moments de détente dans le delta du Tigre qui permettent au couple et à nous, lecteurs, de souffler un peu. Cependant, l’actualité reprend vite le dessus, les événements se précipitent, Lascano est dans le collimateur de ses chefs et va indirectement mettre Marisa en danger.
La fin sera double : historique avec le récit complet de la débâcle de la triple A et plus confidentielle avec la destinée du couple. Nous refermons le roman sur une très belle page émouvante. Quant à la mort du vieil Allemand, Böll, il faut relire le premier chapitre pour résoudre l’énigme : la solution était sous nos yeux, mais introuvable à la première lecture !
Voilà un roman très intéressant : suspense, scènes d’angoisse, lourde atmosphère générale, sensation que tout bascule dans la corruption et la violence et en contrepoint les personnages positifs et courageux pour qui l’on tremble tout au long du récit, tant ils semblent seuls et fragiles face à la meute de tueurs.
Cette fiction se révèle aussi un bon reportage sur ces sombres années qui précèdent un avenir encore plus funeste pour l’Argentine.
Louise LAURENT
La conspiration des médiocres d’Ernesto Mallo, traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton, éd. Rivages, 135 p. ,18 €.