Amnesty International a demandé à l’État chilien de «cesser immédiatement d’incriminer le peuple indigène mapuche et ses chefs en recourant à la loi antiterroriste» après un verdict qui a condamné samedi 5 mai trois Mapuches pour la mort d’un couple d’agriculteurs dans le Sud du pays.
Photo : Amnesty International
Le 13 janvier 2013, dans une région rurale proche de Temuco, un groupe d’individus cagoulés avait attaqué le domicile du couple formé par Werner Luchsinger (75 ans) et Viviane Mackay (69 ans), à coups de feu et de bombes incendiaires, causant la mort du couple ainsi que la destruction de leur logement.
Dans un communiqué publié sur le site officiel de l’organisation, la directrice du programme Amériques d’Amnesty International, Erika Guevara-Rosa, a critiqué le processus judiciaire du cas Luchsinger-Mackay, dans lequel les trois Mapuches ont été déclarés coupables de délit terroriste d’incendie ayant entraîné la mort.
«Ce procès, marqué par de nombreuses plaintes pour irrégularités, montre bien que la justice est appliquée de façon discriminatoire contre les dirigeants des peuples indigènes. Cela porte préjudice aux accusés et viole le droit à la justice des victimes du crime qui a été commis et de leurs proches», a déclaré Erika Guevara-Rosas dans le communiqué publié par Amnesty International. «L’État chilien a l’obligation de ne pas discriminer les membres du peuple mapuche, et de garantir leur droit à un procès équitable au lieu de les taxer de “terroristes”» […] Il doit aussi faire la lumière sur ces faits et déférer à la justice les responsables présumés de la mort tragique du couple Luchsinger-Mackay, dans le cadre d’une procédure conforme aux normes d’équité des procès», a-t-elle signalé. Elle a ajouté que ce procès était «contraire aux règles internationales d’un procès équitable», et a condamné fermement l’application de la loi antiterroriste pour résoudre ce genre de problématiques :
«Dans la mesure où le Chili a déjà été condamné dans le passé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en raison de l’application de la loi antiterroriste contre le peuple mapuche, en particulier en ce qui concerne la détention provisoire prolongée et le recours à des témoins anonymes, il est scandaleux que les autorités aient ainsi insisté pour appliquer cette loi dans des conditions quasiment identiques, dans cette affaire», a-t-elle déclaré.
Le président chilien Sebastián Piñera s’est quant à lui réjoui ce samedi sur son compte twitter de l’application de la loi antiterroriste par le tribunal de Temuco et a condamné les Mapuches : «aujourd’hui, avec la condamnation de trois accusés par l’application de la loi antiterroriste, la justice a fait un grand et courageux pas en avant, et l’impunité a subi un recul nécessaire et puissant. Je réitère mon engagement de tolérance zéro face au terrorisme».
La peine contre les trois Mapuches sera rendue publique le 11 juin prochain, ce qui portera à quatre le nombre de condamnés dans cette affaire, pour laquelle le machi (chaman) Celestino Córdova a déjà été condamné à 18 ans de prison, comme auteur du double homicide.
Le sud du Chili est depuis plusieurs décennies le théâtre d’un conflit entre les communautés mapuches, qui réclament des terres ancestrales et des entreprises agricoles ou forestières qui les possèdent ; un conflit qui a dégénéré, ces dernières années, en flambées de violence dans lesquelles sont morts plusieurs Mapuches, policiers et agriculteurs. De même, plusieurs dizaines de Mapuches ont été jugés et condamnés pour divers délits, principalement des attaques incendiaires.
D’après El mostrador
Traduction de Léa JAILLARD