La situation très tendue des derniers mois dans la zone frontalière entre l’Équateur et la Colombie met à mal les efforts de paix dans la région. Les enlèvements, les assassinats et la violence sur fond de trafic de drogue préoccupent au plus haut point les deux États.
Photo : El Comercio Equateur
Walter Artizala, alias «El Guacho» refuse encore de rendre aux familles les corps des trois otages équatoriens tués en avril dernier, 20 jours après les avoir lâchement exécutés. El Guacho, leader du Front Oliver Sinisterra (FOS), groupe dissident de la guérilla des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), avait revendiqué l’enlèvement et le meurtre du reporter Javier Ortega, 32 ans, du photographe Paul Rivas, 45 ans, et leur chauffeur Efrain Segarra, 60 ans. Les deux journalistes et le chauffeur réalisaient un reportage à la frontière pour le quotidien équatorien El Comercio. Cette tragédie horrifie l’Équateur depuis un mois, d’autant plus que le sinistre El Guacho retient encore deux autres ressortissants équatoriens qu’il menace d’exécuter si la Colombie et l’Équateur ne cessent pas les offensives militaires à son encontre. Il réclame également la libération de ses hommes emprisonnés en Équateur.
Cette recrudescence de la violence à la frontière avec l’Équateur vient ternir les espoirs de paix en Colombie et dans la région. Le président colombien Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix en 2016, avait conclu il y a deux ans les premiers accords de paix visant à mettre fin à un demi-siècle de conflit armé entre le gouvernement et la guérilla armée des FARC. Ce conflit qui a opposé guérillas, paramilitaires et agents de l’État, a provoqué au total huit millions de victimes, morts, disparus et déplacés. Malgré le dépôt d’armes des FARC, certains groupes ont refusé les accords de paix et ont basculé dans la criminalité. C’est le cas du FOS qui contrôle la région frontalière près du fleuve Mira, fleuve frontalier qui traverse la région andine puis la forêt au milieu de 7 000 hectares de plantations de coca et où serait caché actuellement El Guacho. Ces «Bacrim» (bandes criminelles) ont ainsi abandonné leurs revendications politiques pour se lancer dans les affaires avec les cartels mexicains de la cocaïne.
Le gouvernement colombien semblait pourtant sur la bonne voie ces derniers mois avec les pourparlers de paix négociés avec la guérilla de l’ELN (Armée de Libération Nationale), dernière guérilla en activité en Colombie avec 1 500 combattants. Une trêve avait pour la première fois été observée entre octobre et janvier dernier. Mais la recrudescence des affrontements depuis le début de l’année a détérioré la situation, avec des attentats visant l’armée et la police, des enlèvements et les récents assassinats des journalistes équatoriens qui éloignent la perspective d’une paix durable dans la région.
L’embrasement de la situation a des répercussions politiques directes sur le voisin équatorien, victime collatérale du conflit colombien. Le président Lenin Moreno a annoncé le 18 avril que son pays renonçait à être le siège des pourparlers avec l’ELN, qu’il organisait depuis 2017. La mort tragique des journalistes équatoriens et la menace sur les deux otages encore prisonniers ont contraint les ministres de la Défense et de l’Intérieur à démissionner fin avril, vivement critiqués pour leur gestion de la crise et pour leur incapacité à capturer El Guacho. La crise actuelle a pointé du doigt un manque criant de coordination avec la Colombie, laissant un sentiment d’improvisation de la part des politiques. L’abandon de la zone frontalière devenue zone de non-droit depuis 20 ans apparaît comme la défaite des deux États. La crainte de voir le conflit colombien et les guerres entre cartels de drogue s’étendre vers l’Équateur suscite l’inquiétude de la population, qui redoute que le pays sombre dans un cycle de violence comme en Colombie.
Gabriel VALLEJO