Le Venezuela et son régime politique unique continue d’intéresser et de diviser. En littérature aussi, la production est fournie. Il y a quelques semaines, Les valises de Juan Carlos Méndez Guédez montrait un pays en proie à la violence, à la corruption et à la misère. Alberto Barrera Tyszka se penche sur l’agonie du Commandant, Hugo Chávez. Une première opération à La Havane en juin 2011 est le début d’une période d’embarras de la part du pouvoir : les nouvelles se veulent rassurantes, mais le pays est plongé dans une incertitude encore plus grande ; c’est pendant cette période que se passe l’action du roman.
Photo : Revista Semana/Gallimard
Alberto Barrera Tyszka part d’une mosaïque de personnages et de situations pour faire pénétrer son lecteur au cœur de la capitale de ce pays qui, au même titre que Cuba, intrigue beaucoup d’Européens par la complexité de sa réalité : un médecin à la retraite, une femme dépressive qui rêve de fuir Caracas pour protéger sa fille des violences quotidiennes, un journaliste sans travail qui vit avec sa compagne et leur fils et qui est menacé d’expulsion, un jeune homme proche du régime, une journaliste nord-américaine fascinée par le personnage d’Hugo Chávez, le Commandant.
Chávez a annoncé qu’il était atteint d’un cancer. Il informe lui-même la population de l’évolution de sa maladie en voulant faire croire à l’amélioration de sa santé, mais la guérison ne se produit pas.
Pendant ce temps, le pays vit dans le chaos, les violences urbaines, l’inquiétude soigneusement mise en scène autour de la santé du Commandant dont on annonce régulièrement l’amélioration mais dont on ne voit jamais les effets. Les gens ‒ les personnages ‒ vivent leur vie, parfois routinière, parfois brutalement dramatique. Dans tous les cas, ils sont directement dépendants de la politique nationale.
Crise du logement et prix prohibitifs des loyers, au moins à Caracas, agressions de rue, impossibilité pour les journalistes de trouver une source fiable pour leurs infos, rapports ambigus avec les autorités cubaines, bien présentes un peu partout, corruption ou « arrangements amicaux », tout cela constitue le fond habituel et ces ambiances influent sur la vie quotidienne du journaliste, du médecin ou des adolescents. Ils ne se connaissent pas et ont cependant un point commun : un piège les menace, se resserre autour d’eux.
Au centre de l’histoire, une mystérieuse boîte de cigares, cubains forcément, qui n’en contient aucun, mais un objet bien plus précieux réapparaît de temps en temps, un peu comme le trésor d’un jeu de piste qui lui-même jouerait à cache-cache.
Autour de cette dizaine de personnages appartenant à divers milieux, Alberto Barrera Tyszka montre comment le pouvoir se débat et a du mal à surnager, avec la maladie inattendue de celui qui aurait dû rester immortel. Il le fait avec une technique très bien maîtrisée, celle des bonnes séries télévisées, personnages bien dessinés et représentatifs des classes moyennes du pays et, surtout, loin de toute caricature, il rend évidentes les contradictions d’une révolution qui a à la fois construit et détruit.
Il fait également très bien ressortir la manière avec laquelle s’installe la lassitude face à l’accumulation des agressions, physiques ou politiques, une lassitude qui tue dans l’œuf toute réaction et qui mène à l’acceptation d’une situation particulière qui peut être mise à l’échelle du Venezuela tout entier.
Je n’ajouterai qu’une chose : certains personnages du roman, et aussi le lecteur, nous sommes tout près de découvrir un secret : l’héritage réel de Chávez… Ne nous en privons surtout pas !
Christian ROINAT
Les derniers jours du Commandant de Alberto Barrera Tyszka, traduit de l’espagnol (Venezuela) par Robert Amutio, Gallimard, 260 p., 22 €. Alberto Barrera Tyszka en espagnol : Patria o muerte, Tusquets / La enfermedad / Crímenes / Rating, Anagrama.
Alberto Barrera Tyszka en français : Rating, Zinnia / La maladie, Gallimard.