Miguel Díaz-Canel, le premier président post-castro. Vers la fin d’une époque ?

Le 19 avril 2018 marquera-t-il le début d’une nouvelle ère politique à Cuba ? C’est du moins ce que l’on pourrait imaginer si l’on prend en compte l’absence de la famille Castro, après soixante ans, du pouvoir présidentiel sur l’île caribéenne. Le nouveau président, Miguel Dٕíaz-Canel, le seul candidat ayant été proposé par la Commission Nationale des candidatures, vient d’être élu par l’Assemblée nationale du pouvoir populaire avec 603 voix sur 604, comme l’a annoncé le journal officiel du gouvernement cubain Granma.

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C’est Alina Balseiro, présidente de la Commission électorale nationale, qui a communiqué le résultat, après les voix exprimés la veille par les députés, devant la récemment créée Assemblée nationale du pouvoir populaire. Tout s’est passé comme prévu. Rien ne laissait penser au vote contre la candidature de Miguel Díaz-Canel. Tel était le sentiment général depuis l’annonce à l’Assemblée nationale de la candidature de Díaz-Canel, accueillie par une longue ovation par tous les députés.

Ingénieur, âgé de 57 ans, Miguel Díaz-Canel est né après la Révolution de 1959 et devient ainsi le premier président n’appartenant pas à la «génération historique». En tant qu’homme politique, il a occupé différents postes dans l’administration cubaine, dont celui de vice-président depuis 2013. Dans son premier discours devant l’Assemblée, le nouveau président semble guère s’éloigner de l’orthodoxie du discours officiel : «Je prends ma responsabilité avec la conviction que, nous tous, les révolutionnaires, resteront fidèles à Fidel et Raúl.» ; des mots choisis comme le gros titre par le journal gouvernemental Granma. Il a également signalé, suivant la dialectique castriste, aux «ennemis de la révolution», à ceux qui cherchent toujours à «nous détruire» et que «le monde s’est trompé s’il croit que la révolution va finir avec les guérilleros». Des paroles qui semblent assurer la continuité de la ligne politique la plus dure du «castrisme».

Dans le discours d’aujourd’hui, le nouveau président cubain a laissé paraître son visage le plus orthodoxe. Cependant, il était autrefois considéré par certains comme celui capable d’apporter le changement à Cuba. Il faut donc d’abord se demander, en fonction de sa trajectoire, mais qui est Díaz-Canel ? Il semble y avoir divers moments clés dans sa trajectoire politique qui le définissent. Selon des personnes proches de lui, lors de ses premiers pas en politique, c’était quelqu’un d’extraverti et ouvert. Une personne dont on pouvait s’approcher facilement et qui a même librement montré son intérêt pour des groupes de rock comme les Beatles — en dépit de l’opposition à la tête du Parti communiste contre les icônes de la culture «capitaliste». Cette proximité semble avoir progressivement disparue au fur et à mesure de l’évolution de sa carrière vers des postes plus importants à l’intérieur du Parti ; évolution mise en scène aujourd’hui à l’Assemblée avec l’image forte d’un homme attaché aux idées les plus conservatrices du Parti.

Cependant, il s’est permis autrefois d’agir différemment de ce qui est attendu de la part de quelqu’un dans sa position (selon les codes du castrisme). Par exemple, le jour des élections en mars, contrairement aux habitudes de ses «camarades» les plus âgés et traditionnels, il est allé voter de la main de sa femme. Un autre exemple : Guillermo Fariñas, membre actif de l’opposition au «castrisme», lors de l’entretien pour le journal américain El Nuevo Herald, a parlé de sa rencontre avec le nouveau président. Cette figure de la dissidence avait été hospitalisée en raison d’une grève de la faim. Durant son séjour à l’hôpital se sont produites des coupures d’électricité. Il a expliqué au quotidien comment Díaz-Canel s’est intéressé à santé e sa santé, s’excusant en plus pour les coupures.

Par rapport à son parcours, il est intéressant d’évoquer quelques moments remarquables lors de son passage par Santa Clara, la ville où sa carrière politique a démarré. C’est dans cette ville qu’il a passé neuf ans en tant que premier secrétaire du Parti communiste (PCC) — c’est-à-dire la position la plus importante de la ville. Il a toléré par exemple certaines émissions diffusées par la station de radio Alta Tensión, au cours desquelles les auditeurs pouvaient téléphoner en direct, avec une certaine liberté, aux invités — comme des responsables politiques — afin de leur poser leurs questions, leur faire des remarques, etc. Il a également permis à la salle de spectacles «El Menjunje» de programmer des galas d’artistes transgenres ainsi que des concerts de rock à un moment où les droits civils des personnes transsexuelles et homosexuelles n’étaient guère respectés. Concernant la liberté de presse, selon le blog Cuaderno de Cuba, on peut aussi mentionner ce qui s’est passé avec le blog La joven Cuba. Ayant critiqués certains aspects de la politique cubaine et, malgré le fait d’être clairement socialistes, les auteurs de ce blog se sont vus accusés de complicité avec l’ennemi étranger et leur blog a été bloqué. À la suite de la médiation de Díaz-Canel, le blog a repris son activité avec une certaine liberté.

Est-ce que tout cela veut dire quelque chose aujourd’hui après son discours ? D’abord, il faut savoir que le pouvoir du président de Cuba est assez limité face au pouvoir du leader du Parti comuniste et de l’armée, c’est-à-dire Raúl Castro, 86 ans, qui reste à la tête des deux institutions les plus puissantes de l’île avec ses camarades de la Révolution. Il semble que cette situation va continuer jusqu’à l’ouverture du prochain congrès du Parti communiste en 2021. Face au changement, il est logique d’imaginer les pressions de ces groupes pour que la situation ne change pas. Il est vrai que, ces dernières années, beaucoup d’évènements importants sont survenus sur l’île, impossibles à concevoir par le passé : la visite du Pape François, la visite du Comité international de la Croix-Rouge en 2015, l’autorisation de la visite des observatrices expertes de l’ONU en 2017, et même le concert des Rolling Stones…

Cependant, les actions de répression, telles que des détentions arbitraires et provisoires, sont à l’ordre du jour à Cuba. C’est ainsi que le dénoncent les différentes organisations faisant partie de l’opposition ou même Amnestie International (organisation qui n’a pas été autorisée à entrer sur l’île depuis 1990) dans son rapport d’octobre 2017 : «Cuba, mécanismes de contrôle de la liberté d’expression et leurs effets dans la vie quotidienne». Dans ce rapport, l’ONG dénonce une longue liste de stratégies du gouvernement cubain contre la liberté d’expression et de répression.

Par exemple, depuis les années 90, les autorités cubaines emprisonnent les gens assez régulièrement pendant des périodes courtes pour ne pas risquer de susciter des critiques de la part de l’internationale si la durée était beaucoup plus longue. Marti noticias évoque un rapport de l’Observatoire cubain des droits humains. Selon ce rapport, au cours du mois de mars, 340 détentions arbitraires se sont produites pour des raisons politiques à Cuba (202 femmes et 138 hommes). Les victimes font toujours partie des différents groupes de l’opposition comme Movimiento Cristiano de Liberación, l’Unión patriótica de Cuba ou Damas de blanco. Ces femmes se mobilisent toutes les semaines, victimes de la répression, et ont récemment reçu le prix Milton Friedman pour la liberté selon le site Cubanet.org.

Malgré tout, Amnestie International voit dans la situation présente une nouvelle opportunité pour les droits humains. Dans son rapport de 2018 «Transformation de l’affrontement au dialogue», elle réfléchit aux possibilités de transformation de la situation actuelle à Cuba, et propose au gouvernement cubain des mesures à suivre pour des améliorations dans différents domaines, comme la pression idéologique sur les individus dans le milieu du travail pour contrôler leur liberté d’expression ou la protection du journalisme indépendant pour encourager la pluralité d’avis sur l’avenir de Cuba.

Le nouveau président pourrait-il donc représenter un minimum d’espoir pour le changement à Cuba ? Il semble que le discours actuel envisage difficilement cette possibilité et décourage ceux qui s’attendaient à quelque chose de nouveau et différent. Il est vrai que, partout, les membres de l’opposition ne gardaient aucun espoir avec l’arrivée de Díaz-Canel. C’est ce qu’évoquait Antonio Rodiles récemment à la suite du discours de Díaz-Canel en 2017 devant le Parti communiste, dans lequel il dévoilait son vrai visage, selon le dissident. Yoani Sánchez, journaliste cubaine résidant en Allemagne, s’est exprimée dans le même sens. Pourtant, il semblait difficile que, dans un contexte aussi compliqué que celui à Cuba, le nouveau président puisse s’exprimer autrement, étant donné la pression des secteurs les plus durs du Parti. En mars 1985, à l’occasion des funérailles de Chernenko, le futur président de l’URSS s’exprimait de cette façon devant les membres du Politburo : «Je vais lutter contre tout ce qui va contre l’URSS et le mode de vie socialiste», «il est important de renforcer l’armée de l’URSS pour que les agresseurs potentiels sachent quelle réponse leur seront apportées en cas d’attaque contre l’URSS». Ce jour-là, les politicologues n’imaginaient pas encore quelles seraient les lignes politiques suivies par celui qui deviendrait, en 1990, prix Nobel de la Paix : Mikhaïl Gorbatchev. À la différence de l’ancien président de l’URSS, Díaz-Canel avait le cadavre devant lui. Pourquoi ne pas imaginer une lecture différente du discours du nouveau président ?

Mario PEREZ MORALES

L’édition du 19 avril de Libération propose deux pages sur Cuba, Castro part, un fidèle reste avec un article de Françoise-Xavier Gomez et une intéressante interview du chercheur américain Ted Henken. Lire l’article