Cinélatino fête ses 30 ans d’existence à Toulouse, Les Regards de Villeurbanne en sont à leur 34e édition. Deux festivals qui prônent l’art cinématographique hispanophone. Avec des thèmes très variés, autour de personnages de pays différents, fiers de leurs cultures, des films drôles ou émouvants, toujours sincères. La richesse multiculturelle de l’Amérique latine se traduit aussi dans le septième art… Autant de raisons qui donnent envie d’aller au cinéma !
Photo : extrait de Zama
Les 30 ans du festival CinéLatino de Toulouse
Le festival s’est terminé dimanche dans le froid toulousain, dégradant quelque peu l’ambiance dans la cour de la Cinémathèque. Pour marquer ce 30e anniversaire, deux cents films ont été projetés dans la ville rose et une importante délégation du festival s’est transportée dans 34 villes de la région, du Lot à l’Ariège. Le public était, bien sûr, au rendez-vous.
Dans la section des longs métrages, Zama de Lucrecia Martel (Argentine – Brésil – Espagne – France – Mexique – États-Unis – Pays-Bas – Portugal) a remporté le grand prix coup de cœur. Isolé dans le Gran Chaco, le corrégidor (fonctionnaire royal) don Diego de Zama espère une lettre du vice-roi du Río de la Plata signifiant sa mutation pour Buenos Aires. Souffrant de l’éloignement de sa famille, de l’ennui de son travail de fonctionnaire et du manque de reconnaissance de sa hiérarchie, il perd patience et se lance à la recherche de bandits… Ce film, très beau et très froid, est adapté d’une nouvelle d’Antonio di Benedetto, et sortira début juillet. Une mention spéciale a été attribuée au très beau film porto-ricain El silencio del viento de Álvaro Aponte-Centeno ; film qui aborde la difficile question des migrants dominicains et haïtiens, dans leur tentative d’entrée en territoire américain via Porto Rico.
Les prix du public sont allés à deux films sur Cuba : Candelaria de Jhonny Hendrix Hinestroza (Colombie – Allemagne – Norvège – Argentine – Cuba), film magnifique sur l’amour au troisième âge durant la période spéciale de Cuba et Sergio & Serguéi du cubain Ernesto Daranas Serrano, également réalisateur du très beau Chala, une enfance cubaine. Dans le contexte difficile de la période spéciale, Sergio, amateur de radio et enseignant de la doctrine marxiste, entre par hasard en communication avec Serguéi, le dernier cosmonaute soviétique, délaissé et livré à lui-même dans l’espace. Sergio, bien que sous surveillance, va essayer d’aider Serguéi à regagner la terre, par le biais de la radio et avec l’aide d’un collègue américain.
En ce qui concerne les courts métrages, Eduardo Esquivel (Mexique) a reçu un prix pour son film Lo que no se dice bajo el sol, qui parle d‘une quadragénaire en pleine séparation. Pour les documentaires, A morir a los desiertos de Marta Ferrer Carné (Mexique) et Robar a Rodin de Cristóbal Valenzuela Berríos (Chili-France) ont été remarqués. Le premier propose un voyage sonore d’une exceptionnelle qualité à travers la magie des chants cardenche (musique traditionnelle du nord du Mexique). Le second raconte l’histoire du vol d’une œuvre de Rodin, Le Torse d’Adèle, sculpture voluptueuse qui sera rapidement rapportée par l’auteur du méfait, donnant lieu à une série d’interrogatoires sur les motifs et la légitimité de l’acte. Le prix du public pour les documentaires a récompensé Cocaïne Prison de Violet Ayala (Bolivie-France), filmé en partie par les prisonniers eux-mêmes, et qui nous montre l’hypocrisie à l’œuvre dans la guerre contre la drogue en Bolivie.
Mais le festival Cinélatino, c’est aussi une plateforme professionnelle qui aide à la production et au lancement de films. Grâce au dispositif Cinéma en construction 33, nous pourrons bientôt voir Los silencios de la brésilienne Beatriz Seigner, une coproduction entre le Brésil, la Colombie et la France, et qui raconte la fuite de Nuria et Fabio face aux conflits armés en Colombie et leur tentative d’émigration au Brésil. Fêtant les 30 ans du festival, 30 films spéciaux ont été choisis par les spectateurs et les invités : on a ainsi pu revoir le film cubain Fraise et chocolat ou le film péruvien La ville et les chiens, entre autres. Et un numéro spécial de la revue annuelle de Cinélatino y est consacré.
L’année 2017 aura été une année fructueuse pour le cinéma chilien, qui a produit une quarantaine de films (fictions et documentaires) ; et les femmes auront été à l’honneur, avec la production de 10 films de cinéastes femmes, alors qu’elles sont seulement 7 % au niveau mondial. D’où l’idée de ce focus consacré aux «Chilenas», en présence de l’actrice Paulina García, invitée d’honneur du festival. «Être femme et faire du cinéma au Chili» était le thème d’une belle table ronde dont le compte rendu se trouve sur le site de RFI : qu’elles soient monteuses, réalisatrices ou actrices, leur talent est remarqué et récompensé par des prix.
Extrait de Carpinteros
Les 34e Reflets de Villeurbanne
La soirée de clôture de cette 34e édition du festival ibérique et latino-américain de Villeurbanne s’est organisée autour de la projection de Átame de Pedro Alomodóvar, du partage d’une paella préparée par l’association Murcia, et s’est terminée par un grand bal, ambiance à l’espagnole. Le festival présentait 42 films et 14 documentaires, projetés dans quatre lieux, dont le cinéma Le Zola, et accompagnés de trois expositions.
Outre neuf avant-premières, dont Abracadabra, film espagnol de Pablo Berger, et Zama (Argentine) de Lucrecia Martel, le festival proposait également 22 films inédits et 10 films en compétition n’ayant pas encore de distributeur français : La soledad, film vénézuélien de Jorge Thielen Armand sur un monde en disparition, Saison de chasse de Natalia Garogliola (Argentine), Arábia d’Affonso Uchôa et João Dumans (Brésil), Princesita de Marialy Rivas (Chili), Oscuro animal de Felipe Guerrero (Colombie), Últimos días en la Habana de Fernando Pérez (Cuba), La mano invisble de David Macián (Espagne), Colo de Teresa Villaverde (Portugal), Carpinteros de José María Cabral (République Dominicaine) et El silencio del viento d’Álvaro Aponte Centeno (Porto Rico).
Carpinteros, remarqué au festival de Sundance, a obtenu le prix du public CIC Iberbanco, une histoire étonnante d’amour en milieu carcéral, tourné dans les trois prisons de Saint-Domingue avec les détenus comme principaux figurants et trois acteurs professionnels. Les répétitions dans les prisons ont enrichi le propos du film. José María Cabral explique : «J’ai passé neuf mois dans les prisons, à rendre visite presque tous les jours aux détenus pour travailler, créant avec eux un climat de confiance. Ils me disaient les choses et je les aidais à le faire dans un style cinématographique, mais on le faisait toujours ensemble. Je leur disais : « Regarde, j’ai besoin du personnage pour faire ça, que ferais-tu dans ce cas ? Comment enverrais-tu ce message ou comment draguerais-tu cette femme ? », et ils me disaient telle ou telle chose. C’est comme ça que j’ai écrit le film.»
Il me reste à signaler que, tout comme à Toulouse, la présence féminine était très importante puisque dix-sept films représentés ont été réalisés par des femmes et dix des longs métrages proposaient des portraits de femmes, ordinaires ou célèbres. Les Reflets fêteront l’année prochaine leurs 35 ans.
Alors longue vie au Cinélatino de Toulouse et aux Reflets de Villeurbanne !
Alain LIATARD