Jorge Volpi vient de recevoir le prestigieux Prix Alfaguara 2018 pour Una novela criminal qu’il qualifie de « roman sans fiction ». Le livre sortira en espagnol au printemps, un peu plus tard en France, où vient de paraître un ouvrage qui n’est pas de la fiction du tout : Examen de mon père, hommage à l’auteur de ses jours, réflexion sur son pays, sur lui-même, sur l’existence, chacun des dix « chapitres » se focalisant sur une partie du corps humain.
Photo : Jorge Volpi/La Orquesta – éd. Seuil
Dès les premières pages, on retrouve la rigueur habituelle chez Jorge Volpi. Cette fois, ce n’est pas un roman, mais bien une réflexion qui est née en août 2014, au moment de la mort de son père, chirurgien réputé et modeste, homme autoritaire et sensible.
En parcourant diverses parties du corps humain en général, et de celui de son père en particulier, il suggère les sensations qui le rapprochaient de lui, homme actif et lui aussi rigoureux ou vieil homme dépressif attendant passivement sa mort tout en constatant sa déchéance. C’est une immersion dans le cerveau humain, comment se tissent les idées, les souvenirs ; souvenirs envahissants au point de parfois faire disparaître le présent. C’est bien le présent qui devrait être notre seul centre afin qu’il puisse, comme le veut la nature, s’offrir un futur. Ou alors (mais le résultat est identique) les informations se multiplient tellement, en tellement peu de temps, qu’elles s’autodétruisent, autodétruisant la mémoire. L’immortalité est une illusion, cela ne fait aucun doute.
Il existe plusieurs façons de « régler ses comptes », horrible expression qu’il faut prendre ici au sens strict (obtenir un résultat en ayant additionné et soustrait un ensemble d’éléments) pour obtenir un bilan objectif. Il est plus qu’évident que Jorge Volpi le fait ici avec l’intelligence et la hauteur de vues qu’on lui connaît. Ce n’est pas qu’un portrait de son père qu’il dessine, c’est aussi une bonne partie de sa propre autobiographie, sans concession et c’est également une description précise de son Mexique dans les années qui ont amené à la période actuelle, avec des considérations sur l’état présent du monde, le tout dans un style parfaitement accessible. Cette vision, par exemple dans le chapitre consacré à la main est éblouissant de lucidité et, malheureusement, d’un pessimisme absolu.
De son père, brillant chirurgien aux idées très conservatrices mais aux actes ouverts sur les autres, il parle finalement assez peu, comme en négatif, par petites touches qui décrivent son environnement, ses goûts. Il est humain, donc contradictoire. Le Mexique, pays que Jorge Volpi aime d’un amour lucide, est pareil, contradictoire. Le portrait féroce et entièrement vrai de Mgr Maciel, monstre protégé par les papes successifs est aussi à cette image, quoique n’ayant fort heureusement rien à voir avec le père de l’écrivain !
Dans ces dix chapitres, Jorge Volpi cite dans un même paragraphe Hippocrate, Michel Tournier et la famille Simpson sans jamais ennuyer : les phrases sont denses, les idées nombreuses, mais la lecture reste aisée, exigeante mais aisée, ce n’est pas le moindre mérite de ce livre inclassable. En le refermant, on aura fait connaissance avec M. Volpi père, on connaîtra beaucoup mieux son fils Jorge et son problématique pays, et on aura sans nul doute bien avancé dans la connaissance de soi-même. Peut-on en dire autant de la plupart des ouvrages de ce genre ?
Christian ROINAT
Examen de mon père. Dix leçons d’anatomie comparée de Jorge Volpi, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, éd. Le Seuil, 265 p., 21,50 €.
Jorge Volpi en espagnol : Examen de mi padre, Alfaguara.
Jorge Volpi en français : À la recherche de Klingsor / La fin de la folie, Plon / Jour de colère, Mille et une nuits / Le temps des cendres / Le jardin dévasté / Les bandits, Le Seuil.