On en a vu des dizaines, au cinéma. En général, ils se ressemblent tous beaucoup, mais qu’est-ce qu’un tueur à gages, un vrai ? Comment « entre-t-on dans la carrière » ? Quand on a 17 ans, qu’on vit dans un village perdu au milieu de la forêt amazonienne ? Les « débuts » de Júlio Santana doivent beaucoup à un concours de circonstances, ce qui ne l’empêchera pas de devenir le plus grand tueur professionnel, du moins pour ce que l’on en sait, au monde.
Photo : Éditions Métailié
L’auteur, Klester Cavalcanti, est grand reporter pour la presse brésilienne. Il a passé des années à approcher Júlio Santana, puis à le convaincre de lui parler et enfin à recueillir, par téléphone, ses étonnantes « confessions », entre 1999 et 2006 pour être précis. Dans 492, il raconte, à la troisième personne, de l’extérieur donc, toute une vie, celle d’un jeune homme né dans la forêt vierge dont il connaît tous les secrets, au sein d’une famille modeste, attentive au bien-être de ses trois enfants, respectueuse de la tradition et de la morale.
À 17 ans, au début des années 70, Júlio souffre profondément au moment d’exécuter sa première cible. Il connaît sa victime, en plus : un voisin pêcheur, comme son père. Mais il le fait, et il le fait bien. Sa deuxième mission l’emmène dans la région de l’Araguaia. Difficile début : connaissant parfaitement la forêt vierge, il est chargé de guider les militaires qui recherchent les « communistes » et il est obligé d’assister, puis de participer, aux séances de tortures des guérilleros qu’il a aidé à capturer.
La machine est lancée. Malgré son profond malaise, l’adolescent timide et ignorant entre dans l’engrenage de ce qui deviendra sa routine. En collant au plus près avec l’évolution du jeune homme, Klester Cavalcanti rend poignant ce qui pourrait être effarant. Il n’excuse rien, il prouve en toute simplicité mais avec un indéniable talent que le hasard préside à toute destinée.
Sans aucun effet inutile, il nous conduit dans la profondeur de la psychologie de cet homme banal qui a lui-même du mal à comprendre ce qui lui arrive et ce qu’il fait. Il ne s’agit d’ailleurs pas de comprendre, mais de constater et de ressentir.
La conclusion n’est pas forcément évidente pour le lecteur : quels sentiments peut-on avoir quand on a sous les yeux un homme ordinaire qui a été capable d’abattre froidement (la première qualité du tueur, le détachement) 492 personnes, parfois des enfants, et qui a soigneusement recensé ses actes dans un cahier avec un Donald sur la couverture ?
En ouvrant ce livre, on croit qu’on va trouver un témoignage journalistique, et ce qu’on découvre est bien plus que cela : une véritable œuvre littéraire, surprenante, prenante, impressionnante. La vie de Júlio Santana prend souvent des allures de roman, mais Simenon lui-même n’aurait pas pu imaginer mieux. C’est vrai, au cinéma, on a vu des dizaines de tueurs à gages. Mais là, grâce à Klester Cavalcanti, on a connu un homme, pas un personnage.
Christian ROINAT
492. Confessions d’un tueur à gages de Klester Cavalcanti, traduit du brésilien par Hubert Tézenas, éd. Métailié, 224 p., 18 €. – Un film (O nome da morte, titre original), sera bientôt distribué en Europe sous le titre 492. Un lecteur passionné par 492 devrait enchaîner avec la lecture (ou la relecture) du très beau roman de Guiomar de Grammont, Les ombres de l’Araguaia, publié en septembre dernier aux éditions Métailié, qui traite du même sujet que la première partie de 492 : la guérilla dans les années 70 dans cette région amazonienne, et qui donne le point de vue exactement inverse, celui des guérilleros.