Dans Les corrupteurs (Actes Sud, 2015), Jorge Zepeda Patterson avait fait vivre et agir un groupe de quatre personnes, les Bleus, jadis proches camarades de collège, puis de fac ; quatre jeunes Mexicains désormais journalistes pour Tomás, responsable d’une agence de sécurité pour Jaime et dirigeante d’un petit parti politique pour Amalia, également militante féministe. La mort subite, dans les bras de Milena, une prostituée de luxe, de Rosendo Franco, le patron du journal El Mundo dans lequel travaille Tomás, provoque une suite d’événements qui va les remettre en présence et raviver les rivalités de leur jeunesse.
Photo : Jorge Zepeda Patterson, Planeta de Libros/Couverture, Actes Sud
En réalité, Milena était pour Rosendo Franco plus qu’une simple putain ; un peu le dernier feu d’artifice sensuel et sentimental du vieil homme. Mais après le malaise fatal, Milena emporte avec elle un mystérieux carnet noir dont elle ne se sépare jamais, « garantie de survie » pour la malheureuse fille. Claudia, la fille du mort, demande/impose à Tomás de prendre en main le journal ; rôle pour lequel il ne se sent pas formé, mais il se lance, aidé par les Bleus, à la recherche de Milena et surtout du carnet.
On est en novembre 2014, Milena a passé une assez longue période dans la région de Marbella à l’époque où le sulfureux Jesús Gil organisait presque officiellement tous les trafics imaginables. Elle est entrée sur le territoire mexicain en janvier et n’a pas fait parler d’elle avant le mois de juillet, quand elle commence à fréquenter Rosendo Franco sans s’en cacher : elle a probablement été séquestrée au cours de ces mois. La mafia de la prostitution est devenue internationale : trafiquants comme filles louées ou vendues sont aussi bien russes que vénézuéliennes ou croates, comme Alka, le véritable prénom de Milena. Au Mexique s’ajoutent à cela les cartels de la drogue qui ont bien compris l’intérêt que leur procure cette nouvelle source de revenus.
On suit donc en parallèle l’évolution d’Alka/Milena, du départ de son village natal croate à l’histoire d’amour (c’en est une) qui l’unit à Franco malgré la grande différence d’âge et de statut social, et les avancées de l’enquête à Mexico, qui a bien du mal à progresser malgré les compétences et la position de ceux qui agissent : les mafieux et les proxénètes ont parfaitement verrouillé leur « domaine ». Jorge Zepeda Patterson n’est pas intéressé que par les dédales de l’enquête ou par le maintien d’un suspense qui ne faiblit pas et qu’il sait très bien entretenir. La psychologie de la victime est au centre de ce roman qui parvient à allier une solide intrigue policière, des aventures sentimentales, entre amour et amitié, et ce très beau portrait d’une jeune femme dont la beauté exceptionnelle est un handicap autant qu’une arme. Une belle jeune femme qui, bien malgré elle, par certaines informations qu’elle détient, a acquis une valeur qui met en péril tous ceux qu’elle approche. Les ramifications sur la Costa del Sol des diverses mafias russes ou ukrainiennes font planer ces mortels dangers qui menacent Milena et ceux qui veulent la sauver.
Et, sans trop en dire, ajoutons que Jorge Zepeda Patterson offre un plus particulièrement intéressant pour les amateurs de polars : on suit non une enquête mais deux, parallèles et concurrentes : qui arrivera en premier ?
Un seul bémol : l’influence nord-américaine, qui veut qu’un « bon » roman dépasse forcément les 400 pages, n’a pas épargné Jorge Zepeda Patterson ; le dénouement s’éternise. Mis à part cela, Milena ou le plus beau fémur du monde reste un roman non seulement très intéressant dans sa forme, mais surtout important pour toutes les informations qu’il nous donne sur l’internationalisation de la pire des délinquances.
Christian ROINAT
Milena, ou le plus beau fémur du monde de Jorge Zepeda Patterson, traduit de l’espagnol (Mexique) par Claude Bleton, éd. Actes Sud, 448 p., 23 €. Version numérique: 14,99 €. Version espagnole : Milena o el fémur más bello del mundo, Planeta.
Los Corruptores / Los Usurpadores, Destino / Les Corrupteurs, Actes Sud.