Détrôné par la musique enregistrée, Don Alfonso n’animera plus les soirées musicales des halls d’hôtels… Pour continuer à vivre de sa musique et de son marimba, il n’a d’autre issue que de tenter l’aventure imaginée par Chiquilín, son neveu, et maintenant manager : associer le marimba à la légende vivante du heavy Métal au Guatemala, « El Blacko ». Ainsi naîtront « las Marimbas del Infierno », une expérience unique de fusion musicale et d’esprit rock dans un pays en plein chaos.
Photo : Las Marimbas del Infierno
Voici un film étonnant. Réalisé en 2010, il devait sortir en France en mai 2012, mais le distributeur fait faillite juste avant. Il a fallu près de cinq ans pour que le coproducteur français récupère les droits. Le film sera finalement en salle le 10 janvier prochain. Julio Hernández Cordón rencontre Don Alfonso en 2007 qui lui explique qu’il a été victime d’une tentative d’extorsion et attaqué dans sa maison. Après avoir mis sa famille à l’abri, il vit seul, surveillant son marimba, l’instrument national du Guatemala et son gagne pain. Il est coursier le jour et cherche à jouer pour les mariages et les fêtes le soir. Trois ans plus tard, Julio Hernández Cordón lui propose de faire un film à partir de ses mésaventures.
El Blacko fut une grande star du heavy metal au Guatemala, capable de remplir un stade de 70 000 places, en 1989. Mais les temps sont devenus durs. Il est médecin mais, vu sa dégaine, personne ne le veut. De plus, il a été dans une secte satanique, puis évangélique et est maintenant « un fils des lois de Noé », une secte qui emprunte à des rites juifs. Il ne joue donc pas durant le sabbat, mais reste une star de la musique underground. Quant à Chiquilín, aujourd’hui décédé, il était conducteur de grues et le réalisateur le rencontra à l’école de cinéma où il donnait des cours. Il vivait dans les sous sols de l’école et fit quelques petits rôles.
Julio Hernández Cordón imagine une histoire pour faire rencontrer ces personnes.« Las Marimbas del Infierno de Julio Hernández est le portrait d’une génération charnière, explique Javier Payeras, conteur, poète et essayiste. Des jeunes qui sont passés de la dictature à la démocratie. Une démocratie sans emplois, sans éducation et sans perspective de transformation politique. Le portrait aussi d’un heavy metal militant, moyen choisi par certains guatémaltèques pour s’extraire de la pesanteur chrétienne, prude et consumériste, dont nous avons hérité. Un jeune métalleux au Guatemala est presque toujours un déraciné, issu de la classe ouvrière. Il est probablement l’image la plus authentique de la dissidence dans notre société. Si les personnages d’Hernández nous sont aussi proches c’est parce qu’ils représentent cette folie – cette persistance – nécessaire pour s’éloigner des rives de la « normalité » et nous extraire de ce présent douteux. »
Julio Hernández Cordón n’est pas un spécialiste du heavy metal. Ce qui l’a intéressé, c’est que ces personnes « sont nées pour ne pas se rendre. Celui qui ne se rend pas sait rester debout même si il sent que cela va mal finir. Je les admire parce qu’ils font ce qu’ils aiment et en assument pleinement les conséquences. Le fric est la dernière de leur motivation. » En 2013, Julio Hernández Cordón quitte Guatemala City pour s’installer à Mexico où il travaille à la programmation de la Cinémathèque Nationale et anime un atelier de réalisation. Son dernier film, Atrás hay relámpagos, fut présenté à Rotterdam en 2017. Las Marimbas del Infierno, un film plein d’humanité et d’humour à découvrir, même si l’on n’adore pas le heavy metal.
Alain LIATARD