L’Année France-Colombie touche bientôt à sa fin. Elle aura été particulièrement riche en événements, expositions, rencontres. La Colombie, qui sort d’une longue période de violences, a réussi à montrer toute sa richesse culturelle traditionnelle mais également contemporaine, et a permis au public français de découvrir de nouveaux noms. Octavio Escobar Giraldo en fait partie. Actes Sud vient de lui offrir sa première traduction en français.
Photo : editorialperiferica.blogspot.com / éditions Actes Sud
Moralement irréprochable, c’est la réputation imposante ‒ et imposée ‒ de la famille de la narratrice. Proche de l’archevêque local, à Manizales, une ville de la province colombienne, ayant dans son entourage plusieurs généraux et beaucoup d’hommes d’affaires, elle est elle-même experte en charité chrétienne. Le prêtre de sa paroisse l’encourage vivement à aider les familles honorables tombées dans la gêne, ceux qu’ils appellent les « pauvres honteux ». Mais sa malheureuse famille n’a pas su gérer correctement l’agence immobilière léguée par le père. Bien sûr il faut savoir pardonner, mais le peut-on en toute sincérité ? Dieu nous teste. Dieu nous surveille. Et Dieu ne tolère pas les faibles.
Or que fait-on dans ce milieu quand on vient… de tuer un proche (un très proche) ? On s’agenouille, on prie près du cadavre, cela l’aidera à approcher le Ciel et de surcroît, cela permettra à la grâce de vous pénétrer. L’ambiance de ce roman ne conviendra sûrement pas aux amis de Madame Boutin, il est suggéré que l’Opus Dei aurait des cellules homosexuelles et des cellules fascistes, peut-on y croire ?
Tout est hilarant dans la première partie : l’action, le style d’une subtilité aérienne, les pensées de la narratrice, jusqu’aux moindres détails, mots ou silences. L’humour noir, ravageur, est partout. Puis l’humour se fait plus discret, et c’est le noir qui envahit la scène. La fuite, presque un jeu au début, devient oppressante pour les personnages et pour le lecteur ; reste le fond, l’hypocrisie de ces bourgeois traditionnels et traditionalistes, pour lesquels seule compte la façade, qui finit par ne plus avoir aucun sens ; le mal absolu, incarné par celui qui peu avant était considéré comme un proche, prend le dessus.
Après et avant Dieu est un très bon exemple de ce que peut réussir la littérature dans la dénonciation de l’imposture, celle d’une religion mal appliquée qui est si bien représentée dans beaucoup de régions, en Amérique latine et ailleurs. Octavio Escobar Giraldo met son humour à la fois terrible et fin au service de cette dénonciation, aussi efficace que risible.
Christian ROINAT
Après et avant Dieu, de Octavio Escobar Giraldo, traduit de l’espagnol (Colombie) par Anne Proenza, éd. Actes Sud, 189 p., 19,80 €.