Deux mois après sa disparition aux mains des gendarmes, Santiago Maldonado n’a toujours pas réapparu. Les mensonges et accusations ridicules du gouvernement. L’irrespect de la loi sur les droits des communautés indigènes. Des manifestations partout en Argentine mais aussi à Paris.
Le 1er août dernier, le juge Guido Otranto ordonne à la gendarmerie de dégager la route 40 à hauteur de Leleque en Patagonie, bloquée par une quinzaine de manifestants en grande majorité mapuches qui protestent contre l’arrestation d’un des leurs et contre l’usurpation de leurs terres par des grands propriétaires terriens dont l’italien Benetton. La gendarmerie en profite pour envahir les terres mapuches dans le but avoué de « capturer ces Indios de merde », comme le dit un des gendarmes qui ont dans leurs besaces une belle réserve d’épithètes insultantes vis-à-vis des Indiens.
Indiens et grands propriétaires terriens
Dans un jugement répondant à une demande de protection de la communauté mapuche de Raquithue, la juge fédérale de Zapalá Silvina Dominguez rappelle que « l’État n’a pas concrétisé la reconnaissance due de la propriété communautaire qu’ont les peuples préexistant à l’État argentin… alors que leurs droits ont été consacrés dans la réforme constitutionnelle de 1994 ». De fait, l’article 75 de la Constitution, l’article 18 du Code civil et commercial ainsi que la Convention 169 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) rappellent que « les communautés indigènes ont le droit à la possession et propriété communautaire des terres qu’elles occupent traditionnellement ». Les nombreux conflits en cours en Argentine (et au Chili) ont pour cause les revendications de terres indigènes que les Mapuches déclarent avoir été occupées ou annexées par des grands propriétaires terriens. Benetton possède 900 000 ha de terre en Argentine dont plus de la moitié justement à Leleque. La loi 26.160 interdit depuis 11 ans les expulsions de terres occupées par les Mapuches dont le titre de propriété est sujet à un litige judiciaire. Elles ont pourtant lieu… Pour un responsable mapuche, « la police de Leleque ne travaille pas pour l’État mais pour Benetton… ».
Les faits sur la disparition
Lorsque les gendarmes entrent illégalement dans le Lof (Communauté mapuche) Cushamen, armés d’escopetas qui tirent des billes de métal, les manifestants se dispersent. Plusieurs gendarmes poursuivent l’un d’entre eux qui court jusqu’au rio Chubut ; des témoins l’identifient comme Santiago Maldonado et disent avoir vu les gendarmes emmener leur prisonnier vers un véhicule. Depuis, Maldonado a disparu.
Les fausses pistes du gouvernement…
Le gouvernement, sans même attendre l’enquête, essaie immédiatement d’innocenter la gendarmerie. Première fausse piste : Maldonado était à Epuyén (une ville proche de Leleque) où il a été blessé – si ce n’est pas tué – par couteau lors d’une manifestation. Mais l’ADN du sang sur le couteau ne correspond pas à celui de la famille. Deuxième fausse piste : Maldonado n’était même pas présent sur la N 40. Mais des photos montrent qu’il l’était et de plus, on a retrouvé son bonnet sur les lieux. Autre fausse piste : il s’est noyé dans la rivière. Mais la profondeur de l’eau à cet endroit ne dépasse pas le demi-mètre, il n’y a pas de courant et l’eau est encombrée de mille branches d’arbre. Les plongeurs de la Préfecture navale estiment qu’il est impossible qu’un corps soit emporté par les eaux car il serait resté bloqué sur place. Autres hypothèses lancées par le gouvernement, Maldonado se cache (ce qui a motivé plusieurs raids extrêmement violents dans plusieurs communautés mapuches, sans succès), ou il a été assassiné et enterré par… les Mapuches eux-mêmes ! Dernière trouvaille, le gouvernement fait circuler une rumeur selon laquelle « il n’est pas impossible qu’un gendarme ait commis un excès », ce qui innocenterait la gendarmerie en tant qu’institution.
… et ses mensonges
Le gouvernement fait circuler de fausses « informations » : Maldonado aurait été vu dans des dizaines d’autres endroits dans tout le pays… Ces racontars sont évidemment repris main sur le cœur par la grande presse argentine très favorable au gouvernement. Mais aucune preuve… Ou encore : les Mapuches ont coupé des branches d’arbre sur la rivière pour empêcher toute reconstitution, alors qu’une photo montre le gendarme Emmanuel Echazu remonter de la rivière ce jour-là avec les branches déjà coupées bien apparentes derrière lui. Autre rumeur : les Mapuches et la famille de Maldonado posent des obstacles à l’enquête, alors que Sergio, le frère de Santiago, exige depuis le début que le juge scrute les véhicules policiers ; il ne le fera que 10 jours après la disparition, ce qui a donné le temps aux policiers de complètement nettoyer tous leurs véhicules…
Anomalies dans le comportement du gouvernement
D’abord, il bloque l’arrivée d’un groupe d’experts des Nations unies qui se proposait d’aider l’enquête. Le ministre de la Justice, Germán Garavano, avait donné son accord mais avait dû reculer devant une décision prise par le chef de cabinet du président Macri, Marcos Peña. Selon le journal La Nación du 24 septembre, « Peña cherche une sortie qui préserve la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich et n’affecte pas le parti du président lors des élections parlementaires d’octobre ». Autre anomalie : alors que l’État ne fait pas partie des protagonistes de cette enquête, on découvre que trois fonctionnaires du ministère de la Sécurité envoyés par la ministre Bullrich (Pablo Noceti, Daniel Barberis et Gonzalo Cané) ont accès aux informations du juge Otranto alors que l’avocate de la famille Maldonado, Verónica Heredia, se le voit refuser ! Pour dévier l’attention, le gouvernement accuse le « kirchnérisme » de vouloir lui nuire comme si ce qui s’est passé à Leleque avait été mis sur pied par les partisans de l’ancienne présidente Cristina Kirchner…
Le juge Guido Otranto écarté
Le CELS (Centro de Estudios Legales y Sociales) et la famille Maldonado déposent devant la justice fédérale une demande de récusation du juge Otranto pour « manque d’impartialité ». La Chambre fédérale répond que « il n’y a ni inimitié manifeste ni manque d’impartialité dans les décisions du juge mais peut-être une apparence d’impartialité » suite à deux interviews du juge par le journal La Nación dans lesquelles il estime que « il ne faut pas inclure les gendarmes dans l’enquête » et que Maldonado « se serait noyé » dans le rio Chubut ; cette dernière opinion étant une reprise d’une des fausses pistes promues par le ministère de la Sécurité. Mais pour la Chambre, cela « motive et justifie la méfiance des plaintifs… Le juge doit maintenant s’abstenir de participer à l’enquête ». Il est remplacé par le juge Gustavo Lleral.
Des manifestations monstres
Début septembre, une grande manifestation rassemblant des milliers de personnes avait crié : « Où est Santiago ? ». Le 2 octobre dernier, ce furent plusieurs dizaines de milliers de manifestants qui criaient la même question sur la Plaza de Mayo, en présence, symbole fort, de représentantes des Mères et Grands-Mères de la Plaza de Mayo.
Des Français manifestent leurs solidarité
Un communiqué a été signé par un groupe de personnalités françaises exigeant au gouvernement argentin la réapparition de Santiago Maldonado en vie. Parmi eux, Olivier Besancenot, le vice-président de France Amérique latine Frank Gaudichaud, la députée Danièle Obono, et l’universitaire Jean Baptiste Thomas. Selon ces personnalités, « l’avant-veille de cette disparition, des perquisitions étaient conduites contre des locaux de partis politiques de gauche à Córdoba en raison de liens avec la résistance mapuche qualifiée de ‘terroriste’ par les autorités alors que des membres du gouvernement continuaient à véhiculer l’idée selon laquelle Maldonado ‘serait passé à la clandestinité, voire été assassiné par les Mapuches’… » Près de la Tour Eiffel, Estela Carlotto, Grand-Mère de la Plaza de Mayo, accompagnait des membres de la communauté argentine en France avec des panneaux posant toujours la même question : « Où est-il ? ».
Jac FORTON