L’an dernier paraissait le premier roman traduit de l’écrivain jamaïcain Kei Miller, L’authentique Pearline Portious, remarquable portrait d’une île assez peu connue de ce côté de l’Atlantique. Avec By the river of Babylonia, Kei Miller confirme que désormais il faut compter avec lui.
Ma Taffy est une de ces femmes fortes qu’on ne peut qu’admirer et aimer. Aveugle depuis un accident, elle règne sur sa demeure, impose son autorité naturelle sur les lambeaux d’une famille qui ne l’a pas favorisée, autant que sur les petits délinquants du coin. Petits mais dangereux. Monsieur Saint-Josephs est l’instituteur du lieu. Il a ses petites habitudes, pas toutes des plus orthodoxes, a des relations étiolées avec sa femme, lit chaque matin la Bible puis Darwin. Il a aussi ses méthodes d’éducation. Alexandre Bedward, le « Pasteur volant » (qui a vraiment existé et a eu une influence non négligeable sur le pays) est, dans les années 1920, un pasteur de l’Église revivaliste, un personnage singulier : il lévite. Il proclame que, le 31 décembre, il va s’élever, se transformer en ange et Kingston par conséquent sera détruite. La foule est enthousiaste ! Il faut voir le prodige ! L’histoire n’est pas exactement en accord avec la légende, mais le symbole est bien là, l’homme mystérieux, qu’il ait eu des vertus particulières ou qu’il ait été un simple charlatan, s’est imposé à l’esprit de la population tout entière.
Un autre personnage à part entière est Augustown, une banlieue miséreuse de Kingston, ses mœurs, les liens entre ses habitants qui se connaissent tous et dont le cœur bat fort quand un événement brise le calme ‒ relatif, tout est loin d’être idyllique. Des années après son passage sur terre (au-dessus de la terre ?), Alexandre Bedward continue à faire planer son influence. Tout ce qu’on a peu à peu appris de la ville et de ses habitants, de leurs actes, mène inexorablement vers l’autoclapse. L’autoclapse, apocalypse locale annoncée, pressentie par tous, qu’on sait proche, c’est l’aboutissement des deux premières parties du roman, une sorte de Pearline Portious d’Augustown, ce qui ne lui enlève rien de son aspect dramatique. Il se produit car il devait arriver, on en est prévenus très vite. Kei Miller nous offre un grandiose final, une fois toutes les pièces du puzzle ajustées. Il domine magistralement cette montée en puissance qui laisse atone. Ce qui se déroule, c’est une épopée à hauteur d’hommes.
Christian ROINAT