La collection « Ida y vuelta / Aller-retour » se propose d’ouvrir des espaces de dialogue entre les cultures d’expression espagnole et française. Elle présente des textes encore inédits en français, principalement du domaine littéraire, en ne s’interdisant aucun genre (fiction, poésie, essai, critique). Viennent de paraître deux livres étonnants.
Pour la collection « Ida y vuelta / Aller-retour », le choix des ouvrages est motivé par la nécessité de combler des lacunes, consenties par la logique de marché, pour rendre justice à la valeur novatrice ou subversive de ces textes. La collection est donc le fruit à la fois de la recherche et de l’action, individuelle et/ou collective, menées dans le cadre de projets universitaires. Une série est ouverte à la réflexion traductologique et à des textes à valeur patrimoniale ; une autre, bilingue, propose de sortir de l’ombre des auteurs ou des textes jugés significatifs dans le monde hispanique. La collection présente deux nouveaux titres.
Aucun lieu n’est sacré,
du Guatémaltèque Rodrigo Rey Rosa
Ce recueil de neuf nouvelles de Rodrigo Rey Rosa, inédit en français, traduction dirigée par Philippe Dessommes, a été composé durant son séjour à New York en 1998. Un paysage mental singulier y prend forme, opérant une synthèse entre l’évocation réaliste de la violence urbaine et de la solitude de l’exil, et la rémanence chez les personnages de sourds traumatismes transplantés depuis leur pays d’origine. Le génie de la concision suggestive de l’auteur nous permet ainsi d’entendre un furieux concert de voix et de deviner, à distance, un portrait du Guatemala.
Né en 1958 au Guatemala, Rodrigo Rey Rosa part vivre à New York en 1980, en raison de la guerre civile. Il y consacre deux ans à des études de cinéma tandis qu’il écrit, en admirateur de Jorge Luis Borges et Henri Michaux. Pendant une dizaine d’années, il voyage et vit en Europe et au Maroc, où il se lie d’amitié avec Paul Bowles qui le fait connaître en anglais. Rey Rosa alterne romans et nouvelles, écriture et traduction. Plusieurs de ses romans et recueils ont été traduits et publiés chez Gallimard, dont Un rêve en forêt, Le Temps imparti et autres nouvelles (1997), Pierres enchantées (2005), Les Sourds (2014), Le Matériau humain (2016).
Le rêve de monsieur le juge,
de l’Argentin Carlos Gamerro
Malihuel, petit village de gauchos de la Pampa argentine à la fin du XIXe siècle. Le juge de paix don Urbano Pedernera fait comparaître les uns après les autres les habitants pour des offenses commises dans ses rêves. La trame de ce roman, à la fois rigoureuse et farfelue, est servie par une écriture exigeante, au rythme parfois vertigineux, qui emporte le lecteur dans le tourbillon des aventures des villageois. L’humour est omniprésent, dans une Pampa teintée de magie où les croyances autochtones deviennent réalité. Carlos Gamerro revient ici sur des épisodes sanglants de l’histoire argentine, à la manière d’une parodie burlesque. Le récit offre une réflexion extrêmement originale sur le thème du pouvoir et de sa logique paranoïaque, et le rêve acquiert ainsi une dimension politique.
Carlos Gamerro, romancier et essayiste, est né à Buenos Aires en 1962. Traducteur de Graham Greene, de W.H. Auden et de Shakespeare, il écrit également des essais littéraires et des scénarios pour le cinéma. Dans ses romans, il interroge les rapports que l’Argentine entretient avec son histoire et ses mythes culturels et politiques. Tout ou presque sur Ezcurra, traduit en français en 2011 (Liana Levi), soulève la question délicate de la responsabilité des citoyens dans les disparitions orchestrées par l’État sous la dictature militaire.