Lors d’une manifestation d’Indiens Mapuches sur la Route 40 en Patagonie, Santiago Maldonado disparaît. Sa famille et les Mapuches accusent la gendarmerie de disparition forcée, celle-ci nie. Les étranges manœuvres du gouvernement et de la justice, les fausses pistes, les mensonges. Des manifestations massives. Le 1er août dernier, une quinzaine de Mapuches protestent contre l’arrestation d’un des leurs, Facundo Jones Huala, sous le coup d’une demande d’extradition de la part du Chili qui l’accuse d’incendie volontaire. Santiago Maldonado participe à cette action en solidarité avec les Mapuches.
Qui est Santiago Maldonado ?
Né à Buenos Aires il y a 28 ans, il était parti étudier les Beaux-Arts à La Plata. Son frère Sergio Maldonado raconte que c’était un marginal « anti-société bourgeoise. Il militait aussi dans une association qui s’occupait de personnes avec des problèmes d’alcool. Il était toujours du côté de ceux qui avaient besoin d’aide » (1). Depuis deux ans, il s’était installé à El Bolsón près de la ville andine de Esquel en tant que tatoueur. Il a tout de suite pris la défense des Indiens mapuches en lutte contre les grands propriétaires terriens et l’État argentin en Patagonie qu’ils accusent d’avoir usurpé leurs terres.
La lutte pour la terre en Patagonie
L’Argentine des années 1880-1885 s’étendait vers le sud et l’ouest à ce qui correspond aujourd’hui à la province de Buenos Aires. Le reste des terres patagonnes, les régions de la pampa et du piémont andin étaient le territoire des Indiens mapuches, rauquels et tehuenches. Pour augmenter son commerce avec l’Angleterre de la révolution industrielle, grande demandeuse de laine et de viande, le président Julio Roca décide d’envahir les terres indigènes. Pour faire accepter cette guerre, il déclare que les terres indiennes ne sont qu’un désert et envoie l’armée attaquer les Indiens. Cette guerre sera connue comme la « Campagne du désert », un vrai génocide. Fin 1883, les Indiens sont quasi anéantis et leur territoire envahi par des colons ou remis en récompense à des propriétaires terriens ou des militaires « pour services rendus ». Ce sont des parcelles de ces territoires que les Mapuches revendiquent aujourd’hui.
Benetton contre les Mapuches
La transnationale italienne Benetton possède 900 000 hectares de terres dans tout le pays dont plus de la moitié à Cushamen et Leleque, dans la région de Esquel. Espaces latinos avait, déjà en 2011, raconté la lutte d’un couple de vieux Mapuches, Atilio Curiñanco et Rosa Nahuelquir pour récupérer quelques hectares de terres qu’ils accusaient Benetton de leur avoir confisqués. Benetton a réussi à ce que l’État argentin ordonne l’expulsion du vieux couple. L’histoire se répète en 2017… Depuis 2015, des Mapuches du « Lof (communauté) en résistance Cushamen » occupent quelques hectares qu’ils revendiquent comme leurs, car « usurpés par l’État argentin au profit des colons ». Pour faire connaître leur combat, ils coupent régulièrement la route N 40 d’où ils sont non moins régulièrement expulsés par la gendarmerie. C’est au cours d’une de ces opérations que Santiago Maldonado a disparu.
Les faits
Le 1er août dernier, une quinzaine de Mapuches du Lof Cushamen occupent la N 40 pour protester contre l’arrestation d’un des leurs, Facundo Jones Huala, sous le coup d’une demande d’extradition de la part du Chili qui l’accuse d’incendie volontaire. Santiago Maldonado participe à cette action en solidarité avec les Mapuches (2). Une centaine de gendarmes sont envoyés sur place et « nettoient » la zone. Des vidéos et des enregistrements réalisés par téléphones portables décrivent l’opération. On entend distinctement des ordres : « Feu ! Escopette, sur le Noir ». Alors que les Mapuches fuient l’attaque policière, des témoins affirment avoir vu Maldonado s’enfuir jusqu’au Rio Chubut et se cacher dans des buissons. Repéré, les témoins affirment qu’il est fait prisonnier et emmené vers un camion Unimog de la gendarmerie. Depuis, il a disparu…
Les étranges réactions officielles
Il fallut plusieurs jours de dénonciations des Mapuches et des associations de défense des droits humains avant que le gouvernement réagisse. Les gendarmes nient les faits, la ministre de la Sécurité publique, Patricia Bullrich, les soutient, le président Mauricio Macri soutient sa ministre. Les gendarmes nient d’abord la présence de Maldonado à Cushamen en affirmant qu’il avait été victime d’une bagarre et poignardé plusieurs jours auparavant. Les examens d’ADN prouvent que ce n’était pas lui. Ensuite, que le camion Unimog n’est jamais intervenu. Les témoignages et des photos prouvent le contraire. Le dossier est remis au juge Guido Otranto, mais c’est ce même juge qui avait signé l’ordre d’expulsion et envoyé les gendarmes ! Tous les véhicules utilisés pendant cette opération ont été immédiatement nettoyés sans attendre une inspection ; pour que l’on n’y retrouve aucune trace… de quoi ? Mais la justice « ne voit pas de raison d’enquêter sur les actions des gendarmes » et aucun d’entre eux n’a encore été interrogé. Pourtant le commandant de gendarmerie en charge des opérations, Diego Balari, a déclaré qu’il avait « suivi des ordres précis du ministère ». De fait, le chef de cabinet de la ministre Bullrich, Pablo Noceti, était présent lors de l’opération. Noceti a été l’avocat de tortionnaires de la dictature…
Des fausses pistes
Le gouvernement, avec l’aide d’une grande partie de la presse, a lancé nombre de fausses pistes : que les Mapuches reçoivent de l’argent de l’étranger, qu’ils sont liés à l’ex-présidente Cristina Kirchner, que le ‘kirchnérisme’ le tient prisonnier, que la famille met des obstacles à l’enquête, que c’est l’opposition kirchéniste qui monte les manifestations, etc. Alors que l’enquête a été placée sous le sceau du secret, la presse publie des « informations » (toujours en faveur du gouvernement) que la justice ne transmet pas aux avocats de la famille Maldonado. La juge d’instruction Silvina Avila affirme même que le chapeau de Maldonado a été « planté » par les Mapuches eux-mêmes près de l’endroit où il a été capturé alors que ce vêtement a été découvert par une patrouille de police. La scène avait été filmée…
Des réactions massives
Devant la mauvaise foi du gouvernement et à un mois de la disparition, le peuple argentin s’est indigné et a organisé dans tout le pays des manifestations géantes exigeant « L’apparition de Santiago EN VIE ! » : au moins 200 000 manifestants rien qu’à Buenos Aires. D’autres manifestations ont eu lieu un peu partout en Amérique latine et même en Europe. Le journal suisse Le Courrier en faisait même sa première page début septembre (3). Une pétition circule sur Internet signée par de nombreuses personnalités (4).
Pourquoi une telle réaction populaire ?
La mémoire des milliers de disparus pendant la dictature argentine imprègne encore fortement les mémoires. « Plus jamais de disparitions » crient les gens. Plusieurs dizaines de disparitions ont cependant eu lieu depuis la fin de la dictature. Le pays se souvient encore de celle de Julio López qui avait disparu en 2006 après avoir témoigné lors du procès du tortionnaire de police Miguel Etchecolatz condamné depuis à la perpétuité. Ou celle de Franco Casco, disparu plusieurs jours en 2014 après son arrestation à Rosario. On retrouva finalement son cadavre flottant dans la rivière… Ces milliers de manifestants exigent une enquête impartiale pour enfin trouver une réponse à la question : « Où est Santiago Maldonado ? »
Jac FORTON