Quel titre pour un texte très beau, certes, mais dont le sujet est le terrible séisme du 10 janvier 2010 à Haïti. On en aura sinon une explication, du moins une justification dans les dernières pages. Mais ce titre correspond parfaitement au ton, qui navigue entre beaucoup de réalisme, pas mal de lucidité, du découragement aussi et énormément de causticité bien venue car elle vient d’un témoin victime et survivant.
Photo : Radio Canada
Quels mots pour exprimer et partager une pareille horreur ? Un ton larmoyant serait-il de mise ? Un constat froid passerait-il mieux, ou le souffle d’une épopée ? James Noël, qui est avant tout un poète, élude brillamment tous les pièges et explore son propre cheminement qui est tout sauf une ligne droite. Belle merveille est son premier roman, mais roman est-il le mot approprié ? Quelle importance cela peut-il avoir, en soi et face à la tragédie ? Aucune, en fait ; c’est une œuvre qui émeut, qui ouvre les yeux de son lecteur, qui pousse aussi à la colère. Du reportage au poème, de l’interview des victimes aux questions de fond, l’impression qui naît de cette lecture est avant tout la beauté (osons le mot) et la force. Au goudougoudou (le nom donné sur place à la catastrophe) s’ajoute l’épidémie de choléra, et pourtant c’est la vie qui est toujours là, et bien là. L’acharnement de la nature contre les humains provoque la résistance de ces humains.
Mais peut-être y a-t-il pire encore, l’intervention étrangère, politique ou humanitaire, finit par se retourner contre la population haïtienne. Aux yeux de Bernard, le protagoniste et narrateur, si quelques ONG maintiennent le cap de l’aide désintéressée, beaucoup l’ont perdu, ce cap, noyées sous le manque de maîtrise ou même sous l’hypocrisie semblable à celle des politiques qui consiste à être présent pour faire savoir qu’on est là plus que pour être utiles. Malgré tout Bernard quittera son île. Son refuge à Rome, sept ans d’amour avec Amore, rescapée, elle, d’une ONG, ne fait que mieux ressortir l’éternel recommencement de la vie… et de l’horreur : c’est, sept ans plus tard, un ouragan qui dévaste et tue. Avant que la vie reprenne. Comme le dit un personnage : « La vie, c’est le plus vieux métier du monde ».
Christian ROINAT