On a découvert en France la Cubaine Wendy Guerra il y a sept ans à l’occasion de la sortie de son premier roman, Tout le monde s’en va. On se souvient de son passage à Belles latinas et de la performance qu’elle avait offerte à « son » public de l’Opéra de Lyon et qui complétait de façon ludique ses commentaires sur son œuvre et son île. Poète, romancière, cinéaste, cette jeune femme formée aux ateliers d’écriture de Gabriel García Márquez incarne un renouveau de la littérature cubaine.
Photo : éd. Buchet Chastel – Silvio Rodriguez.
Wendy Guerra a mûri depuis et revient chez un nouvel éditeur, avec ce Dimanche de révolution qui surprend et séduit surtout par son ton très original. Cleopatra (Cleo), après la mort tragique de ses parents dans un terrible accident de voiture, connaît une période de profonde dépression. L’annonce d’un prix littéraire international que vient de recevoir son recueil de poèmes à Barcelone l’aide à sortir de son désespoir et de La Havane. Dans l’île, elle se sent (à juste titre) victime du harcèlement permanent imposé par le régime. Après Barcelone, elle se rend à Mexico, où elle pense trouver un refuge auprès d’un de ses ex, mais elle ne rencontre que d’autres exilés, obsédés par le complotisme qui va jusqu’à la rendre suspecte à leurs yeux. Dans l’impossibilité de cohabiter, au milieu de cette atmosphère où tout le monde soupçonne tout le monde, elle décide de rentrer à La Havane.
Le mal de vivre de Cleo ne vient pas que d’elle, c’est son pays qu’elle aime qui le crée et l’entretient, son pays ou les gens qui font le pays, dirigeants, ex camarades d’études avec lesquels le contact n’est plus possible, « collègues » qui se méfient ou se moquent d’elle : elle est consciente d’être seule. Tout se complique considérablement quand la CIA entre dans le jeu. La CIA ! Par l’intermédiaire de Gerónimo, un acteur hollywoodien d’origine nicaraguayenne qui contacte Cleo : il a l’intention de faire un film sur ses parents et vient la rencontrer après avoir consulté les archives officielles de Washington. Or il connaît une foule de détails sur elle et va même jusqu’à l’informer que son père ne s’appelle pas Rafael Perdiguer, comme on le lui a toujours dit, mais Mauricio Antonio Rodríguez.
Tout est bouché à La Havane pour Cleo : on apprend dès la petite enfance à mentir. Aux autorités, aux espions gouvernementaux, à ses relations, aux amants et aux maîtresses, c’est une question de survie. Et quand ce sont les figures de l’autorité qui mentent (gouvernement, parents, enseignants), plus rien ne tient debout. L’enquête menée par Gerónimo et Cleo démarre, difficile, voire d’avance impossible : comment dans un pays où tout est verrouillé espérer détenir ne serait-ce que des bribes de la vérité cachée ?
L’arrière-plan, discret mais très présent, montre l’évolution spectaculaire (et pour les Cubains assez incroyable) du rapprochement historique de Barack Obama et de Raúl Castro. Politique, harcèlement et censure se mêlent pour Cleo aux intermittences amoureuses, à la confusion sentimentale et sensuelle. Ce « désordre » général donne à la lecture un vertige un peu amer : malgré l’immense vitalité qui se manifeste partout, malgré la volonté de chacun, Cuba vit un bonheur impossible, à la fois proche et inatteignable, et cela s’applique aussi à Cleo.
Wendy Guerra, de livre en livre, avance dans la profondeur de ce qu’elle décrit, de ce qu’elle raconte. La superficialité dont elle aime bien jouer et qu’elle aime bien mettre en avant n’est qu’un masque ; notre auteure est en train de devenir une solide référence cubaine. La toute dernière scène, poignante, en est la preuve.
Christian ROINAT