L’écrivain d’origine cubaine Eduardo Manet est très connu en France car son œuvre a été publiée, dans sa totalité, en français. Et il est impressionnant. Depuis le départ de notre festival littéraire Belles Latinas, en 2002, il a été le premier à manifester son soutien. Il est aussi à l’origine, avec d’autres personnes de notre équipe de rédaction, de la lettre ouverte au président de la République Emmanuel Macron que nous publions à la une de cette newsletter. Il nous propose ici une chronique idéale pour cette période estivale.
Je : Je suis encore furieux !
Moi : A cause de qui ou de quoi ?
Je : Hier soir.
Moi : Pourquoi ? Un beau, un bon dîner.
Je : Un dîner mondain. Un dîner hyper parisien.
Moi : Et après ? N’importe quel étranger, n’importe quel Français non-parisien aurait été ravi de ce somptueux dîner.
Je : Pas moi !
Moi : Je te connais difficile, mais, à ce point là !
Je : Le ministre…Enfin, l’ex-ministre…
Moi : Il était charmant avec toi. Certes, c’est un politicien. Et un chiraquien en plus, mais…
Je : Il n’y a pas de mais…Tu as bien entendu sa question. Oui ou non ?
Moi : Je suis un peu sourd de l’oreille gauche, mais, oui…J’ai bien entendu sa question.
Je : Monsieur…En tant que Français d’origine cubaine…Que pensez-vous de la corruption chez les politiciens en Amérique Latine ?
Moi : J’ai entendu SA question. Et j’ai aussi entendu…TA réponse.
Je : Ton opinion ? Un peu longue, peut-être.
Moi : Tu préparais le terrain…
Je : Avant d’envoyer les chars de combat.
Moi : Tu as commencé par indiquer l’amour traditionnel de l’Amérique latine pour la France.
Je : Monsieur l’ex-ministre a souri.
Moi : : Tu as évoqué l’admiration des héros de l’indépendance de l’Amérique Latine pour la Révolution Française. Bolivar, le Vénézuelien…José Marti, le Cubain…San Martín, l’Argentin…
Je : L’ex-ministre a encore souri.
Moi : Tu as expliqué minutieusement l’influence de la culture française dans la ville de ta naissance, Santiago de Cuba.
Je : À ce propos…Il a été étonné en apprenant la présence de nombreuses familles françaises qui avaient fui la rébellion noire en Haïti.
Moi : Et, en plus, il ne connaissait pas José María de Heredia, poète qui écrivait en langue espagnole et cousin du José Maria de Heredia, le poète français qui a même une petite place à Paris.
Je : Je n’ai pas oublié la célèbre comparsa de Los Marqueses, pendant le Carnaval de Santiago…Les blacks habillés comme à l’époque de Marie-Antoinette, avec des perruques blanches…Et dansant…Un, deux, trois…Conga en rythme de menuet français !
Moi : Qu’est-ce qu’il a ri, Monsieur l’ex-ministre ! Dommage…
Je : Dommage quoi ?
Moi : Que tu cites une autre tradition française que les peuples de l’Amérique latine ont aussi bien imitée : la corruption politique dans l’hexagone.
Je : Et, alors ? Il a craché sur la corruption au Brésil ! Corruption en Argentine…Au Chili…Il fallait que je lui rappelle l’exemple français, surtout en 2016 !
Moi : C’était maladroit de ta part de lui rappeler qu’un de ses meilleurs amis faisait partie des corrompus.
Je : C’était nécessaire. L’ex-ministre insultait l’honneur de l’Amérique latine. Il fallait qu’il commence par balayer devant sa maison. Car, lui aussi avait été impliqué dans ce qu’on appelle avec beaucoup d’hypocrisie…Les affaires. Par contre…N’oublie pas, très fine, ma tirade…J’espère que les gouvernements latino-américains imiteront aussi la formidable décision de l’actuel gouvernement français : lutter contre la corruption. C’est mon coup de chapeau pour la France actuelle, non ?
Moi : Coup de chapeau maladroit ou naïf : tu as fait l’éloge du président Macron devant un ex-ministre de Jacques Chirac.
Je : J’ai seulement mis sur la table la vérité : les temps ont changé. La France luttera contre la corruption. Il est temps que l’Amérique latine suive ce bel exemple. Main dans la main.
Moi : A savoir ?
Je : Des amis latino-américains qui travaillent ou qui habitent en France, professeurs universitaires, médecins, avocat, artistes…Et, quelques Français spécialistes de l’Amérique latine préparent un document qu’on enverra au président Emmanuel Macron.
Moi : À savoir ?
Je : Tu le sais très bien. Tu ne vas pas me dire qu’une partie de moi-même devient amnésique ?
Moi : Tu connais la lutte entre le ça et le moi, non ? Le conscient et le sous-conscient…
Je : Arrête ton char, Sigmund. Ce document indiquera que l’on parle beaucoup des rapports entre la France, l’Europe, les Etats-Unis, l’Asie, l’Afrique et peu, très peu des relations avec l’Amérique Latine.
Moi : Le président Macron ira au Pérou en septembre. Il veut que Paris soit la ville qui accueille les Olympiades.
Je: Certes. Mais, combien des pays il y a entre les Caraïbes et la Patagonie ? Le Général De Gaulle connaissait l’importance de ces terres du sud.
Je : Il avait peut-être vu le film To have or have not, inspiré par un roman d’Hemingway. L’action se passait en Martinique. Et, pour la première fois ensemble : Bogart et Bacall !
Moi : Ne sois pas frivole. Le général était un homme très cultivé. Il a fait un très bon discours à Buenos Aires, je crois.
Je : Mitterrand connaissait aussi très bien l’Amérique du Sud.
Moi : C’était un ami de Fidel Castro.
Je : Je parle d’aujourd’hui, maintenant, now ! Il est important pour la France de bien prendre en compte l’existence de ce continent qui est en train de renaître de ses cendres. Un exemple : Lima redevient, peu à peu, un Eldorado. Sa cuisine est célèbre dans le monde entier, des entreprises étrangères commencent à réinvestir. Beaucoup de jeunes Français s’y installent !
Moi : Suis-je obligé d’écouter tes leçons d’économie, de politique, etc.… ?
Je : Non. Mais tu es obligé comme moi d’appuyer les efforts de nos camarades latinos et Français qui aiment l’Amérique latine… Ils luttent pour défendre le continent du Sud, sa culture, sa musique, sa cuisine, sa…
Moi : Sa Shakira, sa salsa…
Je : Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour avoir une partie de moi-même moqueuse, joueuse…
Moi : Attention ! Si tu ajoutes péteuse, je te gifle.
Je : (long soupir.) Je ferme ce dialogue. Tant pis !
Eduardo MANET