Les proches de Nouveaux Espaces Latinos et les amateurs des traductions réussies liront avec une émotion particulière ce nouvel épisode des enquêtes de Heredia rédigées par celui que le détective appelle le Scribouillard. En effet c’est la dernière traduction publiée de notre amie Bertille Hausberg qui nous a quittés récemment.
Comme toujours, elle a su communiquer aux lecteurs français le charme des nostalgies du héros, autant que le langage des Chiliens, ceux qui peuplent les romans de Ramón Díaz Eterovic, mélange de suspense, de remarques sur la société et sur l’être humain en général. Quel plaisir de retrouver Heredia, toujours un peu au bord de la déprime, les yeux pourtant grands ouverts sur le monde qui l’entoure, en particulier sur son quartier populaire du centre de Santiago et heureusement toujours accompagné de son chat Simenon qui ne manque pas une occasion de commenter, de critiquer, d’ironiser.
L’avocat Alfredo Razetti, qui a été le compagnon d’études de Heredia, à la fac de droit, des lustres plus tôt, est retrouvé assassiné dans son bureau. Il se disposait à défendre des villageois qui s’estimaient victimes d’une grande entreprise minière. L’énorme barrage qu’elle a construit, s’il a apporté temporairement de l’activité et des ressources au village, est devenu une menace directe pour les habitants. Il est en principe fait pour contenir les déchets toxiques générés par la mine et, s’il ne résiste plus à la pression qui est devenue excessive ou à un tremblement de terre, le village sera anéanti. Cela est-il en rapport avec l’assassinat ? L’enquête de Heredia se révèle chaotique, il la fait progresser de concert avec celle de la police menée par la commissaire Doris Fabra, dont il est amoureux depuis déjà un certain temps, mais qui a bien du mal à sauter le pas et même à donner une réponse claire à notre détective. Elle tarde à le faire, mais finit par lui répondre. Tout baigne dans une douce nostalgie, l’enseigne à jamais éteinte d’un bar jadis très fréquenté, la pâtisserie devenue salon de beauté… et Simenon qui en rajoute, en insistant sur les années qui n’épargnent pas son maître, alors que lui semble rester raisonnablement fringant. Il ne reste muet que sur un point, l’ébauche d’histoire d’amour entre Heredia et Doris.
Heredia avoue quelque part qu’ « il n’est pas un détective infaillible ni très rigoureux » ; c’est vrai, et c’est ce qui donne ce charme si propre à ses enquêtes, à celle-ci en particulier. Aidé par Anselmo, le vendeur de journaux du kiosque voisin qui le connaît depuis toujours, qui le conseille, il prend le temps de se rappeler le passé, pas seulement par nostalgie, mais pour relativiser les difficultés présentes, celles de l’enquête ou celles plus personnelles et sentimentales, de notre Heredia. On change bien sûr, mais ce n’est ni bon ni mauvais et, à l’opposé de Maigret, celui de l’autre Simenon qui est presque le même homme à quarante ans d’écart, Heredia sent le poids des années. Leur humanité est égale mais différente.
Il y a aussi, toujours, l’attirance de Heredia pour les petites rues de Santiago, pour la vie des petites gens, tout ce qui croise son chemin et que son autre ami, le Scribouillard, met en mots et en phrases. Sans oublier l’amitié qui pour Heredia n’est en aucun cas un vain mot. Ramón Díaz Eterovic sait comme jamais mêler la noirceur de ce dont est capable un être humain et ce que l’homme peut avoir de positif, désabusé certes, mais finalement positif.
Christian ROINAT