Carole Zalberg a le vent en poupe. Peu de temps après la parution de son nouveau roman, Je dansais, chez Grasset un autre de ses textes, Feu pour feu, édité chez Actes Sud, est adapté au théâtre de Belleville à Paris. Or, il se trouve que Carole Zalberg était aux côtés du directeur de Nouveaux Espaces Latinos, pour les 5e Bellas Francesas qui ont eu lieu en Colombie au mois de mars. De plus, l’actrice principale de sa pièce – Fatima Soualhia-Manet – est l’épouse d’un des membres et ami de notre équipe de rédaction. C’est pourquoi Feu pour feu nous intéresse tout particulièrement…
Photo : France 2 et Facebook
Feu pour feu retrace l’exil d’un homme et de son bébé, de la Terre Noire au Continent Blanc, dans une démocratie dominée par la loi du marché, dans une société de l’image où l’on assiste à une dégradation spectaculaire de la culture. C’est aussi, et surtout, le saisissant cri d’amour d’un parent pour son enfant, entre deux générations, deux réalités, deux pays diamétralement opposés. La pièce est présentée au Théâtre Belleville, du mercredi 19 avril au dimanche 9 juillet (du mercredi au samedi à 19 h 30 et dimanche à 20 h 30). Mise en scène Gerardo Maffei, Avec Fatima Soualhia-Manet. Assistanat à la mise en scène Francesca Cominelli – Décors et costumes Marta Pasquetti et Federica Buffoli – Création lumière Boris van Overtveldt – Création sonore Lorenzo Pagliei – Aide à l’écriture gestuelle Sonia Alcaraz – Vidéo et photographie Guendalina Flamini.
NOTE DE MISE EN SCÈNE
« Cette révolution capitaliste, du point de vue anthropologique, c’està-dire quant à la fondation d’une nouvelle “culture”, exige des hommes dépourvus de liens avec le passé. Elle exige que ces hommes vivent, du point de vue de la qualité de la vie, du comportement et des valeurs, dans un état, pour ainsi dire, d’impondérabilité – ce qui leur fait élire, comme le seul acte existentiel possible, la consommation et la satisfaction de ses exigences hédonistes. » Pier Paolo Pasolini
Feu pour Feu de Carole Zalberg (après Un Petit Poisson de Pier Paolo Pasolini, Silvio’s Glam Democracy , écrit par mes soins et publié en France par Les éditions du Félin, suivi de La Brouette d’après Luigi Pirandello) est le texte qui va compléter ma Tétralogie de la Consommation. Il s’agit du dernier acte d’un parcours de recherche consacré aux mécanismes absurdes d’un systeme parasitaire qui s’est désormais emparé de nos vies.
Chaque jour, en Europe, nous sommes confrontés à l’arrivée massive de populations fuyant l’horreur de la guerre. Une guerre entretenue par des luttes mafieuses servant les intérêts des multinationales, dans le seul but d’augmenter leur profit, sans aucun scrupule. Adama et son père font partie de cette nuée. Ils ont quitté leur pays, perdu leurs cultures. Ils sont censés s’intégrer, mais à quoi ? Aux obscénités de nos démocraties corrompues, aux valeurs occidentales qui ne correspondent désormais qu’à une misérable dégradation spectaculaire-américaine de toute culture ? Oui, malheureusement. Le Capital/Continent Blanc n’a pas seulement besoin d’une main d’œuvre à bas coût, mais aussi d’individus non-sociaux, capables d’interagir uniquement à travers la forme aliénée et aliénante de l’échange mercantile. Des “hommes nouveaux”. Homologués, stéréotypés et apatrides, intoxiqués par une pensée unique incontestable et irréversible.
À travers la création d’un imaginaire global, capable de conditionner les choix de ces nouveaux êtres inhumains, le Capital/Continent Blanc n’agit pas seulement sur le plan social, mais aussi sur le plan anthropologique et génétique. Toute identité – y compris sexuelle – pouvant représenter un obstacle à une réification de masse, devra se plier à la seule forme d’’autorictas” reconnue : celle de la forme-marchandise. Cet hurlement poétique de Carole Zalberg, reste le plus efficace et, peut-être, le seul acte de résistance possible envers ces échos d’une pensée absolue. Même les mots sont devenus inhérents au Capital, dans un épouvantable processus de réécriture d’une nov-langue orwellienne.
Nous vivons aujourd’hui dans une post-démocratie autoritaire, gérée par les lois du marché. C’est la démocratie des politiciens corrompus, des journaux contrôlés par la finance et de l’état d’urgence. La désobéissance civile envers un État qui nous spolie de tout, au nom des intérêts économiques, risque de devenir bientôt une nécessité vitale. Et, exactement à la manière d’ Adama, chacun de nous pourrait vouloir accomplir un geste de rupture avec un système paraissant de plus en plus fragile et faux, tel un vieux régime fasciste et autoritaire du siècle dernier.
Gerardo MAFFEI