Quand on pense au Mexique actuel, quand on écrit sur lui, ce qui ressort en priorité est la violence. Antonio Sarabia, dont la dernière traduction en français remonte à une quinzaine d’années (Le ciel à belles dents), prend le parti inverse. Sans occulter les menaces, il présente une petite ville provinciale dans laquelle, si on sait détourner le regard, on peut vivre presque normalement. Et pourtant…
Photo : Éditions Métailié
La violence, celle des narcotrafiquants qui a envahi le quotidien, celle aussi des relations courantes entre les gens. Antonio Sarabia, prend le parti inverse. Hilario Godínez, la quarantaine, est journaliste sportif dans le quotidien d’une petite ville mexicaine. Il assiste impuissant à la violente agression dont est victime, dans les bureaux du journal, un de ses collègues. Il parvient pourtant à repérer l’un des agresseurs qui, les semaines suivantes, croise son chemin à plusieurs reprises (par hasard ?). Pendant la même période deux jeunes gens de la ville sont enlevés et leurs restes (incomplets) sont retrouvés dans les environs. Y a-t-il un rapport entre les deux assassinats et l’homme, Tino, qui s’arrange pour entrer en contact avec lui, mi conciliant, mi menaçant ? La vie s’écoule plutôt calmement malgré ses brusques accès de violence. Hilario tente et réussit un rapprochement, officiellement professionnel, mais plus personnel, avec Susanita, sa jolie collègue qui s’occupe des rubriques people et culture, ce qui dans la pratique n’en fait qu’une. Elle lui ouvre les portes d’une société bien plus bourgeoise que celle qu’il fréquente habituellement, toutes proportions gardées, on n’est quand même pas à Mexico, à Paris ou à Londres !
Le récit aussi s’écoule calmement, ce qui n’empêche nullement les événements de se succéder à un bon rythme, et la tranquillité apparente de la petite ville, avec les vernissages d’expositions de peinture, la messe dominicale et son suave Père Pino, mais aussi les rues désertes après dix heures du soir à cause de l’insécurité et les bars mal famés, cette tranquillité n’est plus aussi évidente. Parallèlement à sa vie professionnelle et sentimentale, Hilario Godínez voit depuis des années sa vie rythmée d’une autre façon : il reçoit chaque semaine une lettre d’amour envoyée par une mystérieuse inconnue anonyme. Toujours le même genre de message, jusqu’au moment où elle commence à se dévoiler un peu et l’encourager à lui répondre.
Comme dans tout bon roman noir, les questions ne manquent pas, certaines étant empreintes d’une véritable originalité. Par exemple, peut-on considérer le tatouage, ou encore l’assassinat, comme étant un des Beaux-Arts ? Hilario Godínez fait tout ce qu’il peut pour répondre à ces interrogations, en plus de celles que lui pose la mystérieuse inconnue des lettres. Antonio Sarabia réussit un joli tour de force : écrire un roman à l’ambiance somme toute détendue sur un pays réputé pour sa violence quotidienne. Il ne fuit pas la réalité, il la montre autrement, on voit vivre au quotidien des gens moyens, qui ne sont pas à l’abri d’un choc mais qui parviennent à accepter l’inévitable et qui finissent par nous ressembler.
Christian ROINAT