Infatigable combattant contre l’impunité, l’avocat Carlos Slepoy est mort à Madrid à l’âge de 68 ans

Inlassable défenseur des droits humains, l’avocat argentin avait été exilé en Espagne par la dictature du général Videla. Il est à l’origine du procès contre Pinochet à Londres et avait promu un procès en Argentine au nom des victimes espagnoles du franquisme. Il avait 68 ans.

Photo : Compte Twitter de Carlos Slepoy

Torturé par la Triple A.   Avocat militant, Carlos Slepoy, connu comme « Carli », est arrêté par la Triple A (Action Anticommuniste Argentine) juste avant le coup d’État du général Rafael Videla en 1976. Il passe par plusieurs centres de torture dont la terrible Unité n° 9 de La Plata. Il reste en prison bien sûr après le coup d’État du général Videla en mars 1976 mais est expulsé vers l’Espagne en 1977. En 1982, un policier espagnol lui tire une balle dans le dos lorsque Carli s’interpose entre lui et des ados menacés par l’arme du policier ; il restera plusieurs mois en chaise roulante.

Lutter contre l’impunité des dictatures…    Slepoy se met alors au service de la « compétence universelle » par laquelle les responsables de crimes contre l’humanité et de génocides peuvent être jugés où que ce soit si leur pays refuse ou ne peut les juger, car ces crimes sont imprescriptibles selon le droit international. La lutte contre l’impunité des criminels des dictatures devient son objectif inflexible. En 1996, il dépose devant les tribunaux espagnols une plainte contre les dictatures chilienne et argentine qui mènera à l’arrestation du général Augusto Pinochet à Londres en octobre 1998 et à la condamnation du tortionnaire argentin Adolfo Scilingo.

… Mais aussi contre les disparus du franquisme.    Puisque la justice espagnole semble ouverte à la compétence universelle et prête à extrader ou condamner tortionnaires, assassins et dictateurs, le juge espagnol Baltazar Garzón propose d’étudier la situation des disparus durant la dictature du général Franco en Espagne (on parle de près de 113 000 victimes). Mais la justice le bannit immédiatement du pouvoir judiciaire. L’histoire de la dictature en Espagne reste un sujet tabou… Alors Carlos Slepoy a l’idée de renvoyer l’ascenseur. En 2010, au nom de la compétence universelle, il aide deux familles espagnoles à déposer plainte devant des tribunaux argentins pour crimes contre l’humanité et génocide commis entre 1936 et 1975 en Espagne. Plus de 5 000 Espagnols donnent leur témoignage et, en 2013, 140 d’entre eux se joignent à la plainte. Le dossier aboutit sur le bureau de la juge Maria Servini de Cubria à Buenos Aires.

La juge Servini accepte la plainte.   À la suite de la plainte déposée par Carlos Slepoy au nom des familles des disparus et de plusieurs associations de défense des droits humains espagnoles, la juge Servini demande l’ouverture d’une fosse commune dans le village de Guadalajara en Castille-La Manche. Puis, au nom de la juridiction universelle, l’arrestation de vingt anciens fonctionnaires des forces de sécurité du dictateur Franco et leur extradition vers l’Argentine pour y être jugés (1). Le gouvernement espagnol refuse ; arguant de la « prescription des faits », il choisit d’ignorer que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.

Carlos Slepoy, jusqu’au bout…    La revue en ligne Publico.es rappelle que le 18 juillet dernier, Carlos Slepoy y écrivait à l’occasion du 80e anniversaire de la Guerre Civile (2) : « Les juges espagnols seront-ils capables de respecter les principes élémentaires adoptés par la communauté internationale il y a déjà 70 ans ? Nous sommes convaincus que nombres d’entre eux le feront et ouvriront le chemin à la réconciliation, non avec les criminels, mais avec l’administration de la justice ». Plusieurs organisations françaises et latino-américaines en France rappellent qu’en 2012, Carli  était venu à Grenoble dans le cadre des activités organisées par le Collectif Mémoire Vérité Justice et qu’il avait collaboré au travail de plusieurs d’entre elles. Carlos Slepoy, lutteur infatigable contre l’impunité, restera pour toujours, en Europe et en Amérique latine, l’un de ceux que les Latinos appellent « imprescindibles », les indispensables.

Jac FORTON

(1) Lire des témoignages dans le journal El País du 27 septembre 2013.    (2) Publico.