La Constitution paraguayenne interdit à toute personne ayant été président de se représenter. Plusieurs députés (dont plusieurs anciens présidents) souhaitent la changer pour pouvoir se représenter. Les partis sont divisés : accords illégaux dans un sénat « parallèle » et crise institutionnelle.
Photo : Nodal
Après 40 ans de dictature du général Stroessner, la Constitution de 1992 interdit la réélection du président de la République après ses cinq ans de mandat. Mais l’attraction du pouvoir est telle que de nombreux politiciens souhaitent changer la Constitution et permettre la candidature d’anciens présidents aux présidentielles d’avril 2018. On ne s’étonnera pas de compter parmi eux l’actuel président Horacio Cartes (2012-2018) ainsi que les anciens président Fernando Lugo (2008-2012) et Nicanor Duarte (2003-2008). Mais l’opposition à cette modification est forte et divise les trois principaux partis, le Colorado de Cartes, le Frente Guasu de Lugo et le Libéral radical authentique (PLRA) de Blas Llano.
Un « sénat parallèle » ? Fin mars 2017, un groupe de 25 sénateurs (1) issus des trois partis se réunirent en ce qui fut appelé un sénat parallèle en vue d’approuver des modifications aux articles du Règlement intérieur de la Chambre haute devant faciliter des modifications à la Constitution. Cette réunion se fit sans l’accord du sénat et à l’insu de son président. Cette réunion irrégulière pour ne pas dire illégale décida ainsi de réduire de 30 à 23 le nombre de sénateurs pouvant traiter une matière constitutionnelle. Les autres sénateurs s’opposent vigoureusement à ce sénat parallèle.
Une opinion publique indignée. Cette crise politique a provoqué l’indignation des citoyens qui manifestent devant le Congrès dont certaines installations sont même incendiées, ce qui déclenche une violente répression policière : plus de 210 arrestations et de nombreux blessés. Plus tard, la police a fait irruption au siège du PLRA (accusé d’avoir « fomenté » les manifestations) et tue Rodrigo Quintana, un de ses dirigeants. Bien que pour freiner les réactions publiques, le président Horacio Cartes ait immédiatement démis de leur fonction le ministre de l’Intérieur et le chef de la police, les manifestations continuent dans tout le pays au cri de « Non à la réélection présidentielle ». Le souvenir de la « réélection » éternelle du dictateur est encore trop frais dans la mémoire citoyenne….
Le sénat officiel opposé au sénat parallèle. Un groupe de 19 sénateurs a alors présenté une motion d’inconstitutionnalité de ces réunions parallèles en vue d’annuler leurs décisions. C’est la Cour suprême qui devra décider, la même qui avait validé le coup d’État contre Lugo. Le président Cartes a ensuite convoqué tous les partis à une Table de dialogue. Devant le refus des « sénateurs parallèles » de retirer leur proposition, le président du sénat, Roberto Acevedo, a quitté la Table. Bien qu’une bonne partie de ses représentants soit favorable à la modification, le Parti Libéral en tant que tel s’y est opposé lors de sa Convention nationale samedi dernier.
Le président Cartes fait marche arrière. Pour le moment, les sondages, au cas où les « parallèles » l’emportent et le « rekutu » (parole guarani qui signifie ‘répéter’) soit autorisé, signalent que le favori à la réélection serait l’ancien président Fernando Lugo avec 52 % des voix, loin devant Horacio Cartes et ses 12 % et l’ancien président Nicanor Duarte, 11 %. Du coup, le président Cartes a remis une lettre à l’archevêque d’Asunción dans laquelle il annonce « qu’il ne se représentera pas à une ré-élection », « pour le bien de la Patrie » bien sûr…
Jac FORTON