Il y a quelques années, Paulo Lins, le romancier brésilien, auteur aussi de La Cité de Dieu, publiait aux éditions Asphalte Depuis que la samba est samba, un roman très coloré et vivant sur la naissance de cette forme purement brésilienne. Cette fois c’est un Français, Jean-Paul Delfino, qui ouvre les portes sur son héritière, la bossa nova, sous la forme d’une enquête qui revient sur la création et les débuts de cette musique qui très vite a conquis le monde.
Photo : Recife
Jean-Paul Delfino est passionné depuis toujours par le Brésil, les Brésiliens et surtout par la musique brésilienne. Parmi les romans qu’il a publiés, plusieurs ont pour cadre Rio de Janeiro et les années noires. Dans ce nouvel ouvrage, il rassemble des souvenirs recueillis dans les années quatre-vingts, alors qu’il était un tout jeune journaliste, pour présenter une synthèse, la somme de ses recherches. L’étude est fouillée, sérieuse, avec des partis pris assumés. Pour lui, toute cette période tourne autour d’un seul musicien génial et fou, João Gilberto, les autres (Antônio Carlos Jobim ou Vinícius de Moraes) restent au second plan. Il voit l’américanisation systématique du Brésil dans les années cinquante, qui est un fait avéré, comme étant l’origine du mouvement. On peut effectivement voir les choses ainsi, comme on peut faire l’analyse exactement inverse, la bossa nova étant la version nationale de la musique populaire, c’est-à-dire s’opposant directement au rock n’roll.
Il y a beaucoup de côtés très sympathiques, un agréable désordre, qui mélange les dates et les nombreux noms d’interprètes de bosse nova qui ont eu leur heure de gloire et dont l’aura s’est éteinte depuis les années 60. Mais si on suit le récit décontracté du temps de la gestation, on apprend des tas de choses, importantes à retenir ou tout à fait secondaires. On lit, et avec intérêt, ensuite on fera le tri, on oubliera ce qui peut l’être et on gardera l’essentiel. On acceptera aussi les partis pris de Jean-Paul Delfino, qui met certains sur un piédestal (mérité) et qui en laisse d’autres sur le bord du chemin (c’est dommage). Vinícius Cantuária par exemple n’est même pas cité une fois, peut-être trop jeune. On assiste ainsi à la naissance artisanale et chaotique de ce courant tout nouveau à la fin des années 50, né de la samba qui, elle, a déjà plusieurs années d’activité. Les personnalités se forment, se rejoignent, s’épaulent ; de très jeunes gens (certains ont tout juste 15 ans), filles et garçons, se réunissent dans la chambre de l’un ou de l’autre, discutent, jouent de la guitare, complètement inconscients d’être en train de créer un formidable courant qui va déborder des limites de Rio, puis du Brésil, pour être connu et très apprécié partout dans le monde, en Occident comme en Orient.
La vraie naissance a lieu un peu avant 1960, avec l’apparition de João Gilberto et sa façon insensée de jouer, de chanter et surtout de rythmer, interprète idéal, alors que Vinícius de Moraes et Tom Jobim ont été déjà reconnus comme auteurs et compositeurs. La reconnaissance mondiale se fait très vite, grâce à l’intérêt que portent à la bossa nova de grands jazzmen, Dizzy Gillespie et Mile Davis en tête, qui ouvrira aux musiciens brésiliens les portes des plus grands labels discographiques des États-Unis et d’Europe. Les interviews de divers chanteurs brésiliens ou français réalisées par Jean-Paul Delfino dans les années 80 et offertes en annexe laissent malheureusement une saveur un peu amère : était-il vraiment indispensable de garder, trente ans plus tard, des anecdotes peu chargées de sens (un échec public d’Astor Piazzola à Rio) ou, pire, des critiques des uns sur les autres (Baden Powell éreintant Toquinho et Jorge Ben, Moustaki critiquant Lavilliers et Nougaro…) ? Il reste pourtant de Bossa nova la grande aventure du Brésil une somme de noms, de faits, de musique, de vie.
Christian ROINAT