Ce jeu de mot des grévistes (la mina de cobre La Escondida se traduit par la mine de cuivre La Cachée) reflète la situation : les grévistes veulent le dialogue, le gouvernement est d’accord pour une médiation, mais la direction de la mine reste figée sur ses positions.
Les raisons de la grève sont les nouvelles dispositions dictées par la direction du groupe anglo-australien BHP-Billiton, principal actionnaire de la mine. Au vu de la bonne santé financière de l’entreprise, les 2 500 travailleurs, représentés par le Syndicat n° 1, demandent une augmentation de salaire de 7 %, un bon de fin de négociation de 33 000 € et le maintien des acquis sociaux pour tous les travailleurs. La direction refuse toute augmentation, offre un bon de 10 000 € et veut changer les conditions de travail des nouveaux engagés (réduction de salaire et de bénéfices). Après 11 jours de grève, les travailleurs ont proposé une négociation au siège régional du ministère du Travail (à Antofagasta). La direction de la mine n’a pas répondu à l’invitation estimant « que les conditions légales ne sont pas remplies ». Devant le silence de la direction, le Syndicat n° 1 des mineurs (2 500 travailleurs) a demandé la médiation du gouvernement. La ministre du travail, Alejandra Krauss a reçu les dirigeants du Syndicat mais souligne que puisque la direction n’a pas fait de demande, le ministère ne pouvait rien faire.
Médiation « officieuse » du gouvernement. Lorsque la ministre a suggéré une « médiation officieuse », les deux parties se sont rencontrées au siège régional. Après 3h de discussions, aucune avancée. Pour le Syndicat, l’échec est dû « au fait que la Billiton persiste dans sa position intransigeante et son attitude patronale en réitérant son intention de ne pas respecter les rémunérations et les bénéfices existants dans la dernière convention collective… Ils veulent imposer des clauses discriminatoires entre nouveaux et anciens travailleurs et ne précisent pas si ils respecteront les temps de repos ». De son côté, la direction dénonce « des blocages de routes inacceptables ». Le Syndicat répond que les grévistes ne bloquent plus les routes mais vérifient les voitures qui passent pour éviter l’arrivée de travailleurs « brise-grève ».
Escondida : une privatisation polémique. Les cinq principales mines de cuivre du Chili furent « chilénisées » sous le président DC Frei puis nationalisées par Salvador Allende en 1971. Escondida appartenait alors à l’entreprise US Anaconda. Après le coup d’État du général Pinochet, les économistes civils qui le soutenaient étaient en faveur de la privatisation totale des mines de cuivre. Mais la Junte rassembla les cinq principales sous une enseigne : CODELCO, Corporación del Cobre dont 10 % des revenus devaient passer aux forces armées. Vu l’opposition de la Junte à la privatisation, les ministres civils de Pinochet bloquèrent secrètement le paiement des patentes de ces mines ce qui les rendaient ouvertes au « rachat ». Ce dernier eut lieu en secret en 1976 et c’est ainsi que Escondida tomba dans les mains de Billiton. Un sort identique arriva à la mine Los Pelambres, rachetée par… Anaconda en 1979. Aujourd’hui, 70 % des mines chiliennes sont entre les mains d’entreprises minières étrangères.
L’enjeu final : empêcher des revendications des travailleurs du secteur minier. Pour l’économiste Julián Alcayaga, si la grève est un échec, les autres mineurs y penseront à deux fois avant d’organiser une grève pour des améliorations des conditions ou même simplement conserver les bénéfices acquis. Il faut savoir que, jusqu’à 2004, si les mineurs étaient mieux payés que la moyenne des travailleurs chiliens, les entreprises privatisées (à part Escondida) n’ont quasi pas payé d’impôts alors que la vente de cuivre leur avait rapporté plus de 170 milliards de dollars. À partir de 2005, les entreprises minières ont commencé à payer des impôts (des royalties) mais en 2015, cinq des mines les plus importantes annoncent « des pertes » et ne paient plus les taxes (1). Et pourtant…
…Billiton : une bonne santé financière. La mine Escondida produit à elle seule 5 % du cuivre mondial. Selon l’agence Bloomberg citée par le journal chilien La Tercera du 20 février, BHP-Billiton ont annoncé « les plus hauts profits depuis 2007 grâce aux réductions des coûts et une hausse du prix du cuivre ». Le gain serait de 3,2 milliards de dollars pour le deuxième semestre de 2016. En un an, l’action BHP a augmenté de 90 % ! En 2016, la mine a produit un million de tonnes de minerai. BHP possède 57,5 % de la mine, dans laquelle on trouve aussi des actions de Rio Tinto et JECO.
Dernière minute : ce mercredi, la direction de la mine déclare « être ouverte au dialogue » et promet de ne pas réaliser de « remplacements » pendant 30 jours. Elle propose aux grévistes de « créer un nouveau contrat collectif en accord avec l’état du marché… qui requiert la plus grande flexibilité de la part des travailleurs… pour maintenir la compétitivité et la productivité »… Le Syndicat dénonce que « la réduction des coûts se fait sur le dos des travailleurs ».
Jac FORTON